Sénégal : adieu la Goana
Au Sénégal, la Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance, lancée en 2008, n’a pas permis d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Quel est le nouveau plan ?
« C’est quoi déjà la Goana, un reptile ? » lance Jean-Pierre Senghor, premier conseiller technique au ministère de l’Agriculture. Une pirouette qui illustre bien la volonté du nouveau régime de rompre avec la politique agricole de l’ère Wade. « On ne va pas plonger dans des concepts que l’on ne saisit pas totalement, poursuit-il, mais on va faire un bilan, voir ce qui a marché ou pas. » Il promet que la Goana sera soumise à un audit.
Les fonds injectés dans le secteur à travers la Goana avaient pourtant provoqué une embellie agricole (lire encadré). « Mais les bases de cette croissance étaient fragiles », explique le professeur Abdoulaye Diagne, du Consortium pour la recherche économique et sociale. « Les subventions ne se sont pas traduites par une forte injection d’intrants dans le secteur, une grande partie des ressources ayant été détournées avant d’arriver aux producteurs. » En 2011, une mauvaise pluviométrie conjuguée à un quasi-arrêt des subventions a replongé l’agriculture dans la crise.
En 2011, la mauvaise pluviométrie et le quasi-arrêt des subventions ont remis le secteur en crise.
« La Goana, c’était des blagues », s’emporte Baba Ngom, le secrétaire général du Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR), qui regroupe vingt-huit associations d’agriculteurs. « Abdoulaye Wade s’est levé un matin pour décider, sans consulter personne, qu’il allait redistribuer des terres à des gouverneurs, des préfets, des marabouts… De gros clients politiques qui n’avaient jamais cultivé de leur vie. »
Le gouvernement veut donc tout reprendre de zéro. Le budget 2013 du ministère de l’Agriculture vient à peine d’être fixé (61 milliards de F CFA, soit près de 93 millions d’euros), mais le premier conseiller du ministre affirme avoir déjà démarré plusieurs chantiers : la mise en place d’un système d’information agricole « pour avoir des statistiques fiables », et la reconstitution du capital semencier. Dans les prochaines semaines, des ateliers sur la maîtrise de l’eau, la mécanisation de l’agriculture, la formation et la recherche seront mis sur pied. Ce sont les trois principaux axes de la nouvelle politique agricole. Jean-Pierre Senghor assure que, cette fois, « tous les acteurs seront inclus dans les consultations », qui aboutiront à un plan quinquennal.
Question de volonté
« Wade n’écoutait personne ! déplore Baba Ngom. Or on ne peut pas faire de développement sans les acteurs du secteur. » Pour l’instant, il constate « moins d’arrogance » de la part des nouvelles autorités. Entre les deux tours de la présidentielle, Macky Sall a été le seul candidat à recevoir le CNCR et s’est engagé à répondre à ses demandes. À commencer par l’application de la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale (Loasp) de 2004, qui protège les droits des petites exploitations, et une réforme pour assurer la sécurité foncière des exploitants. Baba Ngom est convaincu que l’autosuffisance alimentaire est une question de volonté politique : « Il y a environ 250 000 ha de champs irrigables, or nous n’en exploitons que 80 000. Il faut se fixer des objectifs réalistes et irriguer un peu plus chaque année. »
Investissements massifs, résultats mitigés
Avec la Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana), dont le montant était de plus de 344 milliards de F CFA, soit plus de 524 millions d’euros, les dépenses publiques en faveur du secteur agricole sont passées de 176 à 228 milliards de F CFA en un an. La production de riz a connu une forte croissance : la campagne 2010-2011 était de 604 000 tonnes, contre 193 000 t en 2007-2008, selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie. Résultat : les importations ont chuté, passant de plus de 1 million de tonnes en 2007 à 650 000 t en 2010. Pourtant, en 2011, trois ans après le début de la Goana, les importations s’élevaient encore à plus de 800 000 t et, en juin 2012, la production a baissé de 32 % par rapport à 2010-2011. Abdoulaye Diagne estime qu’un programme pour l’autosuffisance alimentaire reste une urgence, mais que celui-ci doit être bâti sur de nouvelles bases : « Il faut favoriser l’investissement privé en mettant en place un cadre institutionnel plus cohérent et optimiser l’allocation des ressources publiques. » N.T.
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