Sénégal : le retour au réel
Réduction des dépenses publiques, remise en confiance du privé, accélération du développement rural… Le gouvernement sénégalais a du pain sur la planche pour remettre le pays sur les rails d’une croissance stable.
Le Sénégal « réel » est de retour. Fini les délires du visionnaire Abdoulaye Wade, qui parlait d’une centrale nucléaire à Diourbel et voulait un Brasilia au nord de Dakar, tout en multipliant les agences chargées de mettre en musique ses foucades… et de faire « manger » ses affidés. À l’évidence, dès son élection à la présidence, Macky Sall s’est attelé à remettre d’aplomb un État et une économie malmenés par une décennie de voltige budgétaire et de projets mal suivis. Au grand soulagement des partenaires du Sénégal, qui, tel Shanta Devarajan, économiste en chef pour le continent de la Banque mondiale, estiment que le pays « est entré dans un processus que nous souhaitons pour l’Afrique », ou qui, avec Sandra Eugène-Kassab, coordonnatrice régionale à l’Agence française de développement (AFD), constatent « des signaux de reprise de confiance ».
Plus un seul franc CFA dans les caisses. Un déficit qui menaçait d’atteindre la taille de celui de la Grèce… Il y avait urgence à faire le ménage, car les chèques de la France et de l’Union européenne ne pouvaient avoir qu’un temps. Le nettoyage est en cours.
Le gouvernement a donc été réduit à 25 membres, contre 37 auparavant. Il a taillé dans les salaires des directeurs d’agences, et en a supprimé 60 d’entre elles. Il a interdit à ses troupes la première classe et élagué les dépenses publiques de téléphone en supprimant 687 abonnements abusifs.
Le Sénégal, c’est une grosse tête avec un corps frêle.
Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti socialiste
Il a fallu différer des investissements peu essentiels, et le président a proposé de supprimer le Sénat et d’affecter son budget de 8 milliards de F CFA (12,2 millions d’euros) à l’aide aux victimes des inondations urbaines à répétition.
Si l’on en croit le Fonds monétaire international (FMI), avec ces mesures le déficit budgétaire serait contenu à 6,4 % du produit intérieur brut (PIB) cette année et reviendrait à 5 % en 2013, puis à 4 % en 2015. La croissance atteindrait 3,8 % en 2012, contre 2,6 % en 2011, avant de monter à 4,5 % l’an prochain. L’inflation est raisonnable, à 2,5 %, après des discussions avec les commerçants pour abaisser les prix de l’huile, du sucre et du riz. Toutefois, assainissement n’est pas développement et les chantiers qui attendent le gouvernement sont redoutables, car le Sénégal est malade, et depuis longtemps. Pays le plus aidé de la région, avec des appuis représentant 7,3 % de son PIB en 2010, il affiche une croissance inférieure à celle de pays moins bien lotis du Sahel, comme le Burkina Faso ou le Niger.
Après un plan Retour vers l’agriculture (Reva) et une Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance, la récolte d’arachide demeure ballottée au gré de la météo, et le pays importe toujours les quatre cinquièmes de sa consommation de riz. La moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et le pays se classe 155e sur 187 dans le Rapport mondial 2011 sur le développement humain des Nations unies. Shanta Devarajan diagnostique trois problèmes : « Il existe au Sénégal trop d’oligopoles qui empêchent la concurrence, notamment dans les produits alimentaires. L’inexistence d’un marché foncier nuit au décollage de l’agriculture. Les subventions aux infrastructures comme l’électricité ou le chemin de fer pèsent lourd sur le budget de l’État sans pour autant aider les plus pauvres. »
L’énergie est devenue un véritable casse-tête, tant les gouvernements successifs ont eu peur de déclencher des émeutes en la faisant payer un prix se rapprochant de la réalité. Obligé de combler les pertes de la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec), dont le manque de moyens provoque des coupures de courant insupportables, le pouvoir a été contraint d’aggraver le déficit budgétaire en accordant des subventions, amputant de 2 points la croissance du pays, tandis que 76 % des entreprises se sont dotées d’un groupe électrogène.
Derniers chiffres connus : les subventions à l’énergie s’élèveront cette année à 150 milliards de F CFA, alors qu’elles avaient été budgétisées pour 40 milliards… Quand les pouvoirs publics réserveront-ils ces largesses aux plus nécessiteux, au lieu d’en faire profiter aussi les classes aisées ?
« Le Sénégal, c’est une grosse tête avec un corps frêle », déplore avec raison le socialiste Ousmane Tanor Dieng. Dakar concentre un quart de la population du pays, mais s’adjuge 56 % des dépenses publiques. Quand mettra-t-on fin à cette iniquité, qui a pour conséquence d’accélérer l’exode rural ? Car, comme le souligne Ludovic Subran, chef économiste de l’assureur Euler Hermes, « il est difficile de faire de la croissance avec une démographie urbaine qui s’accroît de façon exponentielle et suscite une formidable demande en éducation, santé et énergie ».
Pas de croissance non plus si le secteur privé ne décolle pas. Or le Sénégal conserve, selon Ludovic Subran, « un environnement des affaires médiocre en raison des lourdeurs des procédures pour créer une entreprise ». Il faut par exemple compter deux cent dix jours pour obtenir un permis de construire.
La « République exemplaire » voulue par Macky Sall devra, aussi, se montrer très, très persévérante dans les réformes et les changements de comportements.
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