Lamine Diack, président de l’IAAF : « L’athlétisme ne mourra pas d’une prétendue affaire de dopage »

Alors que les championnats du monde débutent à Pékin le 22 août, l’athlétisme mondial est en pleine tourmente suite à un nouveau scandale de dopage. Le président de la Fédération internationale (IAAF), le Sénégalais Lamine Diack, qui quitte ses fonctions à la fin du mois, répond aux accusations et dresse un bilan de seize années de présidence. Interview.

Le président de l’IAAF Lamine Diack lors de la cérémonie d’ouverture des Championnats du monde juniors à Cali, le 15 juillet 2015. © AFP

Le président de l’IAAF Lamine Diack lors de la cérémonie d’ouverture des Championnats du monde juniors à Cali, le 15 juillet 2015. © AFP

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Publié le 13 août 2015 Lecture : 6 minutes.

À 82 ans, le Sénégalais Lamine Diack aurait préféré un départ mois agité. Alors qu’il quittera la présidence de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) dès la fin des mondiaux de Pékin, qui se déroulent du 22 au 30 août 2015, il doit faire face à un nouveau scandale de dopage.

Une récente enquête de  la télévision allemande ARD et du quotidien britannique Sunday Times accuse en effet l’IAAF d’avoir couvert quelque 800 athlètes dont les contrôles antidopage auraient été douteux. Pire, selon les allégations des journalistes, de 2001 à 2012, un tiers des médaillés mondiaux ou olympiques, du 800 mètres au marathon, présenterait des valeurs suspectes.

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« Absurde », estime Lamine Diack. Après seize années à la tête de l’instance, celui qui fut ministre des Sports de Léopold Sédar Senghor, maire de Dakar, député et président du Comité national olympique sénégalais répond aux questions de Jeune Afrique.

Une enquête de médias allemand et anglais accuse l’IAAF de ne pas avoir sanctionné quelque 800 athlètes dont les contrôles antidopage auraient été douteux. Que répondez-vous ?

C’est absurde. Tout ce qui se fait aujourd’hui en matière de lutte antidopage vient de l’athlétisme. Nous avions même mis en place une possibilité de suspension de quatre ans, voire de bannissement à vie en cas de récidive. Le Comité international olympique (CIO) nous a ensuite demandé d’abaisser cette première sanction à deux ans. Nous avions également notre propre tribunal en la matière, que nous avons supprimé quand le CIO a créé le sien. Et c’est encore nous qui avons instauré le passeport biologique ou encore les contrôles hors-compétition, après l’affaire Ben Johnson. L’athlétisme est exemplaire, tout simplement parce que si le public ne croit plus en nos performances, nous sommes morts.

Si le public ne croit plus en nos performances, nous sommes morts.

L’enquête estime qu’un tiers des médaillés mondiaux ou olympiques, du 800 mètres au marathon, présenterait des valeurs suspectes.

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Ces chiffres nous ont fait rire. Il est ridicule de dire que l’on cache des positifs de 2001 à 2012. L’IAAF organise chaque année 2000 à 3000 contrôles pendant les compétitions officielles. Lors de chaque résultat douteux, trois experts de formation différente sont requis pour déterminer s’il y a lieu de demander une suspension pour dopage. Nous nous battons également depuis de nombreuses années pour avoir le concours des États et des gouvernements, qui ont le pouvoir de contrôler des gens à la douane ou de forcer quelqu’un à ouvrir son domicile. Nous sommes les premiers à répéter que chaque pays, y compris les grands d’Afrique et la Russie, doit avoir son agence nationale antidopage. Donc, encore une fois, cette accusation est complétement ridicule.

Le Kenya, principal accusé avec la Russie, a-t-il pu mettre en place un système de dopage généralisé, comme le dénoncent certains athlètes ?

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Non. Ce n’est pas parce que Rita Jeptoo (suspendue deux ans début 2015, NDLR) a été prise après avoir gagné plusieurs marathons qu’il y a un tel système. Le Kenya domine les courses de fond depuis les années 60. Il n’a pas besoin de ça. De plus, les Kényans font partie des athlètes les plus contrôlés pendant les compétitions. Maintenant, il est vrai qu’il faut installer des agences nationales antidopage au Kenya, mais aussi en Éthiopie et au Maroc. Le Kenya est en train d’y travailler avec l’appui de la Chine et de la Norvège. Donnons-leur les moyens de contrôler la grande quantité d’athlètes qu’ils produisent.

Rita Jeptoo. © AFP

Rita Jeptoo. © AFP

Craignez-vous que cette affaire ne vienne ternir votre bilan à la tête de l’IAAF ?

Pas du tout. Durant mes 39 ans passés à l’IAAF, nous avons changé beaucoup de choses, notamment le statut des athlètes ou la condition des femmes. Avant, elles ne pouvaient pas courir au-delà du 3 000 mètres. Aujourd’hui, elles font du marathon, du saut à la perche et lancent le marteau ! Notre sport ne mourra pas d’une prétendue affaire de dopage, qui, du reste, semble tomber à pic, à seulement quelques jours du championnat du monde. Le dopage est un problème important et nous devons lutter contre la triche. Nous le faisons et nous continuerons de le faire.

Au congrès prochain, on s’apercevra que je partirai en laissant une enveloppe de 65 à 70 millions de dollars.

Il y a encore quelques années, on prédisait que l’IAAF allait mettre la clé sous la porte pour raisons financières. Qu’en est-il ?

Au congrès prochain, on s’apercevra que je partirai en laissant une enveloppe de 65 à 70 millions de dollars. Nous avons trouvé des sponsors qui y croient, en Europe, en Russie, en Chine, au Japon… La télévision nous apporte également beaucoup de ressources, notamment à chaque Jeux olympiques. Après Londres, en 2012, nous avions touché environ 45 millions de dollars. De plus, les gens se bousculent pour assister à nos épreuves et ce seront désormais, à partir de 2015, les pays-organisateurs, et non plus la Fédération internationale, qui paieront les primes des athlètes.

Quel bilan tirez-vous de vos seize années de présidence ?

Un bilan globalement positif, outre l’aspect financier. Ma mission était d’universaliser l’athlétisme et d’unifier la famille de ce sport, c’est à dire les différentes disciplines et corps de métier qui la composent. C’est fait. Il fallait aussi décentraliser, donner plus de pouvoir aux fédérations continentales. Nous l’avons fait également : au lieu d’avoir, comme avant, six meetings principaux, tous en Europe, nous en avons désormais quatorze, au sein de la Diamond League, y compris en Amérique et en Asie.

Mais il n’y a jamais eu de mondiaux en Afrique et aucun meeting de la Diamond League ne se tient sur le continent…

C’est d’abord une question de budget. Il faut trouver une ville qui accepte de dépenser des dizaines de millions de dollars pour organiser un meeting ou des championnats du monde. L’année prochaine, il y aura probablement Rabat, au Maroc, qui intégrera la Diamond League, mais, concernant les mondiaux, cela n’était pas une priorité de mon mandat. Je ne me voyais pas demander à une ville de dépenser 50 millions pour un événement, alors que peu de choses étaient faites en termes de développement dans le pays. Ce n’était pas l’essentiel.

Rabat intégrera probablement la Diamond League l’année prochaine.

Y a-t-il une implication politique suffisante de la part des pouvoirs africains ?

Je ne crois pas que ce soit le problème. L’Afrique a organisé une Coupe du monde de football et des villes ont déjà songé à une candidature olympique. Mais l’athlétisme doit avant tout être davantage implanté chez les jeunes et doit véritablement réintégrer les programmes scolaires, c’est le cas aux États-Unis. L’IAAF a tenté de remédier au problème en créant des centres d’excellence partout dans le monde, dont quatre en Afrique. Mais il y a encore beaucoup des talents que les pays ne détectent plus, par manque d’intérêt et de compétitions. Aujourd’hui, le ministre des Sports, en Afrique, c’est celui du football. On trouve des milliards pour le ballon rond, mais on ne donne rien à l’athlétisme.

L’Afrique peut-elle devenir, en termes de sport, le nombril du monde, comme on surnomme l’Asie aujourd’hui ?

Absolument. Tout le monde a les yeux tournés vers nous. Il faut être prêt à relever le défi. C’est une opportunité formidable en termes de développement. Quand j’étais ministre des Sports de Léopold Sédar Senghor et que je m’adressais à la Banque mondiale, on me riait au nez et on me disait que la Banque n’avait pas le temps de s’occuper de loisirs. Aujourd’hui, tout a changé, en bonne partie à l’initiative des Nations unies : tout le monde vient vers les acteurs du sport pour demander comment ils peuvent contribuer au développement. C’est à nous, Africains, d’en profiter.

Le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon arrive avec la flamme olympique à Sotchi, le 6 février 2014. © AFP

Le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon arrive avec la flamme olympique à Sotchi, le 6 février 2014. © AFP

Quels sont désormais vos projets ?

Je serai bientôt retraité. Je vais pouvoir prendre le temps d’aller à la mosquée, de lire mon journal, de m’occuper de mes petits-enfants. Je vais sans doute écrire également, parce que j’ai une longue histoire et beaucoup d’expériences sportives et politiques à raconter. « Moi, Lamine Diack, le rachitique, comment j’ai pu devenir champion de France de saut en longueur ? », par exemple. Et je continuerai à travailler sur les dossiers importants, comme le retour du sport à l’école. Il y a encore beaucoup de choses à faire, de batailles à mener. Regardez le stade du lycée Lamine Gueye de Dakar, où Pape Gallo Thiam a battu le record de France  du saut en hauteur en 1950 : aujourd’hui, c’est un champ de patates !

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