Ali Idrissa : « La société civile doit protéger le jeu démocratique au Niger »

Après l’opposition, lundi, la société civile met à son tour la pression sur les autorités au Niger. Elle a demandé mercredi l’organisation d’élections crédibles et a insisté sur la nécessité de réduire le nombre d’ « emplois fictifs » dans l’administration. Ali Idrissa, président du Rotab, détaille cette prise de position à six mois de la présidentielle.

Ali Idrissa, président du Rotab Niger et membre du conseil d’administration de « Publish what you pay ». © Publish what you pay

Ali Idrissa, président du Rotab Niger et membre du conseil d’administration de « Publish what you pay ». © Publish what you pay

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Publié le 19 août 2015 Lecture : 4 minutes.

La campagne électorale n’est pas encore lancée mais l’élection présidentielle, prévue le 21 février 2016, est déjà dans toutes les têtes. Lundi 17 août, une trentaine de partis d’opposition (sous l’égide de Seïni Oumarou, Mahamane Ousmane et Hama Amadou), des ONG et des syndicats ont annoncé la création d’une coalition, le « Front patriotique et républicain (FPR) », qui a pour but d’imposer au président Mahamadou Issoufou « l’organisation d’élections libres, transparentes et inclusives ».

Deux jours plus tard, mercredi 19 août, c’est au tour de la société civile de mettre la pression sur le gouvernement lors d’une conférence de presse au siège de l’ONG Alternative Espace Citoyens. Réunies autour du secrétaire général de cette dernière, Moussa Tchangari, et d’Ali Idrissa, président du Rotab (Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire), plusieurs organisations appellent, elles aussi, à l’organisation d’élections libres et crédibles.

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Autres revendications : la suppression des « emplois fictifs » qui pullulent, selon elles, au sein de l’administration nigérienne et la non-augmentation du nombre des députés, qui doit passer de 113 à 171 à l’initiative du gouvernement.  La société civile appelle enfin à un « dialogue national » pour préparer au mieux les prochaines élections.

Les explications d’Ali Idrissa, à qui Jeune Afrique a demandé ses impressions, à six mois du scrutin présidentiel.

Jeune Afrique : Vous appelez le président Issoufou à respecter sa promesse d’élections libres et apaisées. Pourquoi est-ce nécessaire ?

Ali Idrissa : Nous sentons que la tension monte et que cela risque de ne pas retomber d’ici les élections. Nous avons parfois l’impression que le pouvoir organise ses propres polémiques. Lorsqu’il fait arrêter des acteurs de la société civile pour terrorisme ou pour manifestation illégale [comme cela a été le cas d’Ali Idrissa lui-même le 18 juillet dernier, NDLR], ça ne profite à personne. Aujourd’hui, malgré certains problèmes, le jeu démocratique fonctionne encore. Nous devons faire en sorte que’il se poursuive et avoir avoir un rôle de veille et de protection. S’il est menacé, il sera temps de faire front pour le défendre.

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Doutez-vous, comme l’opposition, de la crédibilité du fichier électoral ?

Bien sûr. Dans certains endroits, le nombre d’inscrits sur le fichier électoral est plus important que la population comptabilisée au dernier recensement. Ce devrait logiquement être l’inverse, puisque tous les Nigériens ne sont pas électeurs. Il faut se pencher sur ce problème. Mais, contrairement à l’opposition, nous ne sommes pas pour organiser des élections locales avant la présidentielle, sous prétexte de tester le fichier.  Il faut avant tout un audit par des acteurs indépendants.

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Dans votre déclaration, vous vous opposez à l’augmentation, souhaitée par le gouvernement, du nombre de députés de 113 à 171 en 2016. Pourquoi ?

Nous trouvons déjà que les 113 députés actuels sont trop nombreux ! Même chose pour les ministres. Nous sommes 17 millions de Nigériens et nous devons être le dernier pays au monde à en avoir 55, quand la France, par exemple, en a seize ! En outre, il doit bien y avoir un millier de conseillers entre la présidence, la primature, l’Assemblée nationale, etc… Dans toutes les institutions de l’État ! Ce sont des emplois fictifs. Nous appelons à leur suppression.

Des sociétés ont été créées pour gérer la manne financière mais les travailleurs nigériens n’en profitent pas. L’élite capte toujours l’essentiel des ressources.

Avec le Rotab, vous vous battez pour interpeller le gouvernement sur le problème des ressources minières, notamment au sujet d’Areva. Selon vous, cela doit-il être un thème central de la campagne électorale ?

Bien sûr. Nous allons continuer et faire en sorte que cela figure en bonne place dans le débat électoral. Nous devons amener les candidats à répondre à ces questions. Face à Areva, le gouvernement est extrêmement faible. Pourtant, il est actionnaire à hauteur de 33% au Niger et a au moins une possibilité de blocage : il a les moyens de ne pas accepter qu’Areva licencie des Nigériens mais il ne le fait pas.

Pourquoi ?

Je ne sais pas pourquoi Issoufou ne défend pas davantage ses compatriotes. Il pense sans doute qu’avec le soutien de la France, il n’a pas besoin de son peuple. Par exemple, avec l’arrêt du projet à Imouraren, ce sont 6 000 emplois nigériens qui ont été perdus !

Avec la présence des Chinois notamment, la concurrence ne devrait-elle pas permettre au gouvernement d’être plus fort face à la France ?

La diversification a été amorcée. Le Niger exploite déjà certains secteurs lui-même, des Canadiens sont présdents et, quand les Américains ont rompu des négociations, les Chinois les ont remplacés. Cet aspect-là évolue. Le problème, c’est que cela ne veut pas dire que l’on a dit adieu à la mauvaise gouvernance. Nous sommes toujours la proie de notre propre système de prédation. Dans le domaine du pétrole, dans lequel les Chinois sont présents, il y a une véritable mafia qui s’est développée.  Des sociétés ont été créées pour gérer la manne financière mais les travailleurs nigériens n’en profitent absolument pas. L’élite capte toujours l’essentiel des ressources.

La lutte contre la corruption et l’impunité était pourtant l’une des promesses de Mahamadou Issoufou ?

C’est la principale déception que nous ressentons à  son sujet. S’il avait vraiment mis au centre de sa politique la lutte contre la corruption et contre l’impunité, il n’aurait aujourd’hui pas besoin de justifier son bilan en construisant des ponts et des routes à l’approche des élections [le plan Renaissance, NDLR]. Sur ce sujet, ses gouvernements ont vraiment échoué. Les choses ont même parfois empiré. Beaucoup de personnes se sont enrichies et ont des trains de vie indécents à Niamey grâce à ce système de captation.

Peut-on imaginer une candidature issue de la société civile à l’élection présidentielle ?

Je ne peux parler qu’en mon nom. Mais je ne crois pas que ce soit notre rôle. Nous devons amener tout le monde à des élections libres et transparentes et observer le bon déroulement du scrutin. Nous avons un rôle de veille. Celui qui part à la conquête du pouvoir n’est plus de la société civile.

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