Difficile succession pour le patronat burkinabè
Près de un an après le décès d’Oumarou Kanazoé, sa succession à la Chambre de commerce et d’industrie n’est pas réglée. Entre le prétendant déclaré et la présidente provisoire, la bataille est feutrée mais rude.
Qui succédera à Oumarou Kanazoé à la présidence de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Burkina Faso ? Depuis la mort, il y a près de un an, de celui que ses pairs appelaient affectueusement « le vieux », qui régnait en véritable parrain sur le secteur privé du pays et présidait la chambre depuis 1995, les prétendants prennent grand soin de ne pas afficher leurs ambitions. Mais dans les coulisses du pouvoir burkinabè, c’est une bataille sourde, discrète et policée qui se livre. Si Kanazoé avait désigné son dauphin, il n’y aurait pas eu de suspense – « il était trop respecté pour qu’on s’oppose à lui », souligne un entrepreneur. Mais il ne l’a pas fait.
Deux mois après sa disparition – le 19 octobre 2011 à l’âge (approximatif) de 86 ans -, c’est l’une de ses protégés, sa première vice-présidente, Alizéta Ouédraogo, qui a hérité de la présidence de la CCI. Son mandat provisoire ne devait pas durer plus de six mois. Mais le 8 juin, le Conseil des ministres l’a prolongé pour une durée de douze mois. Cela repousse l’élection à juin 2013.
Officiellement, ce délai doit permettre à l’institution de se réformer. Il est vrai que la composition de la CCI ne correspond plus au paysage économique du pays. Pour Alizéta Ouédraogo, « il faut veiller à l’expression d’une meilleure représentativité régionale et provinciale de la chambre ». Des études sont menées en ce sens. Plusieurs sources affirment toutefois qu’une autre motivation a guidé le gouvernement : l’impossibilité de trouver en si peu de temps un candidat susceptible de rassembler largement. « Des jeux d’alliance sont en cours, résume un membre de la CCI. Les pressions sont fortes pour qu’aucune tête ne dépasse. On se dirige vers une candidature unique et consensuelle », comme à l’époque de Kanazoé.
Autodidacte
C’est Apollinaire Compaoré qui, le premier, s’est lancé dans la bataille. En mars, cet autodidacte âgé de 59 ans qui a fait fortune dans l’importation de motos dès les années 1970 avant de se diversifier dans l’assurance et dans les télécoms (voir profil) s’est déclaré candidat. « J’ai quarante ans d’expérience, expliquait-il il y a quelques mois à Jeune Afrique. J’ai un savoir-faire et je suis membre de la CCI depuis longtemps. Je pense pouvoir apporter mes idées au service du pays. » Mais cette annonce n’a pas fait que des heureux. Ses proches le reconnaissent : « Alizéta ne l’a pas accepté. Elle croit que la présidence devrait lui revenir naturellement. » Depuis, Apollinaire Compaoré se fait plus discret.
Des alliances se nouent. Pour un membre de la CCI, « on se dirige vers une candidature unique ».
Alizéta Ouédraogo ne s’est pour l’heure pas dévoilée. « Je me prononcerai sur cette question le moment venu », explique-t-elle. Mais son ambition ne fait guère de doute. Comme Apollinaire Compaoré, qui a ses entrées au Palais et fréquente François Compaoré, le frère et tout-puissant conseiller économique du président, l’actuelle présidente de la CCI, plus connue sous le sobriquet de « belle-mère nationale », cultive des liens étroits avec la famille présidentielle. Et pour cause : sa fille, Salah, est l’épouse de François Compaoré. L’ascension fulgurante d’Alizéta Ouédraogo coïncide avec leur rencontre, au début des années 1990. Aujourd’hui, elle est à la tête d’un empire multisectoriel (cuir, immobilier, BTP).
Le troisième prétendant aurait pu être Lassiné Diawara. Comme les deux autres, il était proche de Kanazoé. Il officiait à ses côtés à la CCI, dont il est aujourd’hui le premier vice-président. « Diawara fait la pluie et le beau temps dans la sous-région », précise un entrepreneur. Mais il assure ne pas briguer la succession du « vieux ». « J’estime que l’actuelle présidente n’a pas démérité. Elle a longtemps travaillé aux côtés d’Oumarou Kanazoé. Dès lors qu’elle est intéressée par la présidence, je la soutiens », indique Diawara. Outre sa loyauté, une autre raison peut expliquer son choix : « Il est considéré par le Palais comme étant moins fiable que les deux autres », résume un membre de la chambre. Comprendre : plus indépendant.
solid #000000; float: right;" />Pouvoir politique
La présidence a en effet son mot à dire. En son temps, Kanazoé a fait de la CCI plus qu’un interlocuteur, un acteur du pouvoir politique. Proche de Blaise Compaoré, président d’honneur (et principal financier) de la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (Fedap-BC, une association créée en 2007 à l’instigation de François Compaoré), Kanazoé avait su, par sa stature et sa générosité, se rendre indispensable au régime. Si la plupart des grands patrons financent les campagnes électorales de Compaoré, c’est parce que « le vieux » les y invitait. D’autres poids lourds de l’économie nationale figurent ainsi au tableau des présidents d’honneur de la Fedap-BC, notamment Alizéta Ouédraogo et Lassiné Diawara.
« Tenir la chambre, c’est le meilleur moyen de tenir les milieux d’affaires », indique un observateur de la vie économique burkinabè. Il s’agit donc, pour le pouvoir, de trouver un successeur fiable. Sur ce point, Alizéta Ouédraogo, bien que contestée tant dans le milieu des affaires qu’au sein de la société, présente toutes les garanties.
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