Au secours ! La crise revient
Alors que l’Afrique semblait sur la voie de la croissance, elle pourrait être touchée par la mauvaise santé de l’économie mondiale. Récession européenne, déficit américain et ralentissement chinois : le dynamisme africain est menacé de toutes parts. Chaque jour de la semaine, Jeune Afrique vous proposera une analyse sur chacun des grands partenaires de l’Afrique : Europe, Brésil, Chine et États-Unis.
Pas de chance. Au moment où des études, des médias et des livres découvrent une Afrique qui « va bien » ou qui « gagne », à rebours de l’afropessimisme d’antan, voilà que le continent est menacé par une nouvelle montée des périls. L’Europe qui enchaîne plan d’austérité sur plan d’austérité, les États-Unis qui vivent les affres du chômage structurel et même la Chine qui modère son rythme effréné de croissance annoncent un coup de froid économique. De quoi redouter une baisse des exportations de matières premières pour l’Afrique, qui a construit depuis une décennie sa croissance de 5 % l’an sur l’appétit des pays riches et émergents pour les ressources de son sous-sol. Et quand ces recettes représentent 37 % du produit intérieur brut comme en Mauritanie ou 76 % du budget de l’État comme en Angola, le pire est à craindre.
Un autre gros nuage assombrit les perspectives : les prix des produits alimentaires repartis à la hausse parce que la sécheresse en Amérique du Nord et en Europe centrale et l’excès de pluie en Amérique latine gâchent les récoltes. Quand on se rappelle, avec la Banque africaine de développement (BAD), que 38 millions de personnes vivant dans sept pays subsahariens demeurent « très vulnérables » à l’insécurité alimentaire, on se demande si le cauchemar de 2008 qui avait vu le prix du riz tripler en trois mois ne pointe pas à l’horizon.
La crise dispose d’autres canaux de transmission pour provoquer des dégâts dans les économies africaines. La montée du chômage en Europe pourrait priver d’emplois nombre d’expatriés et limiter leurs envois de mandats dont les villages ont tant besoin au Mali ou en Guinée-Bissau. Les banques du Nord, à la recherche de fonds propres, pourraient être tentées de réduire leurs prêts au Sud, où elles ont continué de s’implanter au cours de la décennie passée. Leurs crédits à l’entreprise africaine étaient déjà insuffisants ; une raréfaction de leur soutien financier étranglerait un secteur privé sans lequel le continent ne prendra pas son envol.
Certes, ni Rio Tinto ni Chinalco ne suspendront leurs milliards de dollars d’investissements dans le fer guinéen. Les barrages prévus en Ouganda, au Cameroun ou au Mozambique continueront sur leur lancée, au grand soulagement de la main-d’oeuvre africaine. Infrastructures et projets à long terme ne pâtiront guère du ralentissement redouté, mais des milliers de mineurs congolais ou zambiens risquent d’y perdre leur emploi. Comme en 2008-2009.
« La décélération va peser sur l’ensemble de l’Afrique, reconnaît Ludovic Subran, chef économiste de l’assureur Euler Hermes, à Paris. Et cela vient à un mauvais moment, parce que le continent avait besoin de dix ans de plus pour mener à bien les réformes engagées avec succès, en Éthiopie ou en Ouganda par exemple. Il pourrait être obligé de consacrer son énergie à contrer ce retour de la crise, et ce serait du gâchis. » La parade ? « Que l’Afrique se dote enfin de marchés communs dignes de ce nom et abaisse ses barrières douanières », répond-il. Les échanges Sud-Sud ne suffisent plus. Encore faut-il que l’Afrique acquière son autonomie en commerçant avec elle-même.
L’Afrique est-elle en danger?
Paul-Harry Aithnard
Directeur de la recherche d’Ecobank
NON
Il n’y a pas de vrai danger pour la croissance. Les conséquences de la crise actuelle sont moins fortes qu’en 2009, où le choc avait été violent. Il existe certes un risque de perturbations pour des pays très exposés à l’international comme le Kenya, le Nigeria ou le Ghana. Mais de manière générale, l’Afrique sera relativement moins touchée que d’autres zones émergentes comme l’Amérique latine et l’Asie. Ce que je crains le plus est un ralentissement des projets. Enfin, la situation actuelle doit être considérée comme une menace mais aussi comme une chance. Le continent peut en effet être vu encore davantage comme le dernier grand relais de croissance. »
Jean-Philippe Stijns
Économiste au centre de développement de l’OCDE
OUI
Indubitablement, le continent est en danger. Les rouages du commerce international et de la finance jouent leur rôle à la hausse comme à la baisse. Lors de la première phase de la crise, c’est l’émergence de nouveaux partenaires comme la Chine qui a sauvé l’Afrique. Mais la croissance y ralentit aujourd’hui. La transmission passera également par les investissements étrangers. Enfin, on parle aussi d’une transmission éventuelle par le canal financier, avec un assèchement des liquidités en cas de faillite de grands groupes bancaires actifs en Afrique. Mais j’y crois moins: cela ne s’est pas produit après 2008 malgré les prédictions. »
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