Tony Gleaton, l’homme qui photographiait les cowboys noirs, est mort
Un temps photographe de mode, l’artiste qui quitta New York en auto-stop pour s’en aller photographier les descendants africains-américains à travers toute l’Amérique est décédé à Palo Alto, en Californie, à l’âge de 67 ans.
« Quand j’ai quitté les Marines, je ne savais pas ce que je voulais faire, à part coucher avec des femmes. Mais bon, il n’existe pas de diplôme en la matière. J’ai pensé à devenir ranger, en forêt. Je n’ai jamais imaginé travailler dans un bureau. » Finalement, Tony Gleaton – qui vient de mourir à l’âge de 67 ans – s’empara d’un appareil photo et ne le lâcha plus.
Yeux bleus, peau claire, le colosse qu’était Gleaton passa une grande partie de sa vie à expliquer aux curieux que non, il n’était pas métis, que oui, ses parents étaient tous deux noirs, que non, la question n’avait au fond aucun intérêt. Il n’empêche, l’ensemble de son œuvre interroge la présence africaine-américaine au nord comme au sud de l’Amérique.
Né à Détroit le 4 août 1948, Leo Antony Gleaton est le fils d’un officier de police et d’une enseignante. A la fin des années 1950, alors qu’il va sur ses dix ans, sa famille déménage pour les cieux plus clément de la Californie. Après un passage chez les Marines et un détour par le Vietnam, il s’inscrit à l’université de Californie et reprend en main un appareil photo qu’il avait abandonné, désespéré par des résultats qu’il jugeait plus que médiocres. Encouragé par un professeur qui lui trouve du talent, il passe une semestre au sein du Arts Center School of Design de Los Angeles, avant de prendre la route, en stop, pour aller tenter sa chance à New York.
Rodéos et cowboys noirs
Celui qui se disait « né pour être photographe » commence à travailler comme assistant et multiplie les petits boulot avec l’ambition de devenir photographe de mode. Il y parvient, à la fin des années 1970, mais à quoi bon ? À l’âge de 35 ans, il se rend compte qu’en photographiant « des ingénues de 15 ans », il donne son assentiment à une esthétique qui ne va pas dans le sens de son « meilleur intérêt ». Nomade dans l’âme, il reprend la route vers l’ouest, pouce levé, et commence à photographier cowboys et artistes du rodéo, s’intéressant tout particulièrement aux Indiens et aux Africains-Américains.
A-t-on déjà vu un cowboy noir, dans cette iconographie de visages pâles qui ne cesse de glorifier John Wayne et son puissant six-coups ? Le travail de Gleaton, mené à travers le Texas, le Colorado, le Nevada, l’Idaho et le Kansas débouche sur la série emblématique Cowboys : reconstructing an american myth, où les garçons-vachers ont des visages indiens, africains, mexicains, européens… Au début des années 1980, ses contacts avec des groupes de cowboys mexicains le conduisent à passer la frontière sud des États-Unis. Entendant parler de villages isolés sur les plaines côtières près d’Acapulco où les habitants seraient noirs, il fait le voyage pour vérifier de ses propres yeux. S’impose alors à lui l’histoire de la diaspora africaine au Mexique, étudiées par quelques scientifiques mais au fond peu documentée. Immergé dans la vie locale, vivant avec les indiens Tarahumara, s’installant à Guerrero et Oaxaca, Gleaton passe sept ans à arpenter le pays à la recherches des descendants d’esclaves importés dans le pays par les Espagnols. Au bout du compte, il livre Africa’s legacy in Mexico – sans doute son travail le plus connu, qu’il étendra ensuite à d’autres pays d’Amérique latine.
Condition humaine
« La race, dit-il, est un construction sociale, ce n’est pas un fait bio-empirique. » Mais son travail va bien au-delà du simple témoignage documentaire visant à réparer un oubli de l’histoire ou un trou de mémoire bien entretenu. « J’aime l’Autre, écrivait-il sur sa page internet. L’autre, c’est celui qui est séparé de n’importe quel groupe culturel dominant. Mes sujets diffèrent d’une projet à l’autre, mais il y a toujours ce thème commun. En révélant les autres, je nous révèle. Mon travail porte sur ces points communs et ces disparités qui, en nous rendant différents, nous lient aussi dans la même condition humaine. » Honoré par de nombreuses expositions, parfois effrayé à l’idée que « de riches personnes » possèdent chez eux des images de « personnes pas si riches » en lui achetant ses tirages, Tony Gleaton a longtemps travaillé simplement, toujours en lumière naturelle, avec un reflex Mamiya bi-objectif. De ses images, qu’il qualifiait « d’abstractions de la vie quotidienne », il disait : « Elles peuvent sembler naturelles, mais elles sont extrêmement travaillées, très réfléchies. Ce n’est pas du journalisme, c’est de l’art. » L’objectif esthétique était tout à fait assumé : « Ce sont de belles images de gens qui ne sont pas habituellement photographiés d’une belle manière. »
Un temps professeur à la Texas Tech University (TTU), puis artiste en résidence au sein de la TTU’s Southwest Collection, Tony Gleaton a continué de s’intéresser à l’histoire africaine-américaine en photographiant les paysages qui virent passer les migrants noirs se dirigeant vers l’ouest… Jusqu’à ce que, atteint d’un cancer, l’artiste prenne lui-même son dernier aller simple à bord d’un de ces vieux autobus Greyhound qu’il affectionnait.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Stevie Wonder, Idris Elba, Ludacris… Quand les stars retournent à leurs racines af...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- Bantous : la quête des origines