Rwanda : incrédulité et stupéfaction chez les accusateurs de l’abbé Munyeshyaka
Au lendemain des réquisitions de non-lieu prises par le Parquet de Paris en faveur du prêtre rwandais, soupçonné de complicité de génocide depuis 1995, les parties civiles sont sous le choc.
Une nouvelle fois, l’affaire Wenceslas Munyeshyaka aura mis en lumière les atermoiements de la justice française face au génocide des Tutsis du Rwanda. En annonçant par un communiqué, mercredi 19 août, les réquisitions de non-lieu prises par le Parquet du pôle Génocide et crimes contre l’humanité du TGI de Paris, le procureur de la République, Michel Molins, a stupéfié les parties civiles constituée dans ce dossier hautement symbolique.
Mis en cause pour la première fois en 1995, l’ancien vicaire de la paroisse de la Sainte-Famille, à Kigali, où s’étaient réfugiés des milliers de personnes menacées, est soupçonné depuis vingt ans d’avoir joué le jeu des miliciens hutus acharnés à perpétrer le génocide.
« Je suis bouleversée par la décision du Procureur de Paris. Je pense à mon cousin Christophe Safari et à tous les autres qui sont morts à la Sainte-Famille », témoigne Yvonne Mutimura Galinier, une rescapée du génocide qui avait déposé en 1995 la première plainte contre le prêtre rwandais, réfugié en France au lendemain du génocide avec la bénédiction de l’épiscopat. En 2004, après avoir constaté l’inertie de la justice française, elle fera condamner la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour « retard apporté à rendre la justice ».
Une instruction débutée tardivement
Pourtant, ce n’est qu’en 2012 que l’instruction débutera véritablement, grâce à la création du pôle génocide. « Depuis, de nombreux témoins sont morts, se désole Yvonne Mutimura Galinier. D’autres, suite au traumatisme profond qu’ils ont vécu, ne sont plus en mesure de prendre part à la procédure, ce qui profite à l’accusé. »
Mais pour le Parquet de Paris, le temps ne fait rien à l’affaire. « S’il ressort des investigations que le rôle de Wenceslas Munyeshyaka durant le génocide de 1994 a pu susciter de très nombreuses interrogations (…), l’instruction n’a pas permis, au final, de corroborer de façon formelle des actes précis et certains d’une participation active », écrit ainsi François Molins dans son communiqué pour justifier les réquisitions de non-lieu.
Vingt ans d’enquête pour en arriver là, c’est incompréhensible », se désole Alain Gauthier
Pour Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles sur le Rwanda (CPCR), fer de lance des procédures contre de présumés génocidaires rwandais ouvertes devant la justice française c’est la stupéfaction. « De nombreux témoins rescapés de l’église de la Sainte-Famille ont accusé l’abbé Munyeshyaka d’avoir été un acteur actif dans le génocide des Tutsis. Vingt ans d’enquête pour en arriver là, c’est incompréhensible. »
Même incrédulité chez Christian Terras, le rédacteur en chef de la revue catholique Golias, qui avait publié une enquête très étoffée sur le prêtre dès 1995. « Nous avions recueilli de nombreux témoignages accablants, qui se recoupaient », témoigne-t-il, non sans s’interroger sur la possibilité que la position du Parquet puisse être politique, dans un pays où l’exécutif a toujours du mal à regarder en face l’implication des autorités de l’époque aux côtés du régime hutu. « Il y a quelques années, j’aurais soupçonné une ingérence politique, mais depuis la création du pôle génocide, l’attitude du Parquet semblait évoluer dans le bon sens », tempère Me Patrick Baudouin, de la FIDH, partie civile dans la procédure. « Ma première réaction, c’est la surprise et la déception », ajoute l’avocat, selon qui le dossier est « solide et étayé ».
Un renvoi en cour d’assises ?
À l’inverse, l’avocat de l’abbé Wenceslas, Jean-Yves Dupeux, considère que son client « a fait tout ce qu’il a pu pour accueillir 18 000 personnes à la Sainte-Famille durant cette période épouvantable et il a plus ou moins bien, mais plutôt bien que mal, géré les ravitaillements, les protections et les évacuations. » La position du Parquet rendrait donc justice à son client, lequel s’est toujours présenté comme le bienfaiteur des réfugiés de la Sainte-Famille, au risque de devenir lui-même la cible des miliciens.
La question qui se pose désormais est de savoir si les magistrats en charge de l’instruction se rangeront à l’avis du Parquet ou estimeront, au contraire, que Wenceslas Munyeshyaka doit être renvoyé devant une cour d’assises. « Il existe un risque sérieux que la procédure s’achemine vers un non-lieu, ce qui serait un scénario symboliquement désastreux », estime Patrick Baudouin, qui sait d’expérience que sur un dossier aussi sensible, relatif à des faits commis il y a plus de 20 ans à des milliers de kilomètres de Paris, un magistrat réfléchit à deux fois avant de décider d’un renvoi aux assises si le ministère public se montre réticent à soutenir l’accusation.
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