Mohamed Anacko, (PCR d’Agadez) : « Le Mali va au devant d’un danger qu’il n’a jamais connu auparavant »

Avec l’annulation de la réunion de réconciliation entre les mouvements armés du nord du Mali, qui devait se tenir du 19 au 21 août à Niamey, et la multiplication des combats près de Kidal, l’application des accords d’Alger semble encore s’éloigner. Mohamed Anacko, ancien leader touareg nigérien, devait participer aux discussions. Il livre son analyse à « Jeune Afrique ».

Mohamed Anacko, président du Conseil régional d’Agadez et ancien rebelle touareg.. © Conseil régional d’Agadez

Mohamed Anacko, président du Conseil régional d’Agadez et ancien rebelle touareg.. © Conseil régional d’Agadez

MATHIEU-OLIVIER_2024

Publié le 21 août 2015 Lecture : 5 minutes.

Aujourd’hui président du Conseil régional d’Agadez, l’ancien rebelle a créé en 2013 le Cabinet d’analyses et d’actions pour la sécurité et la paix au Sahel et s’implique depuis plusieurs années dans la résolution des conflits, au Mali ou dans le sud de la Libye. Invité à la réunion de réconciliation, annulée, qui devait se tenir à Niamey entre les mouvements armés du nord du Mali, il est décidé à promouvoir le développement des zones transfrontalières du Sahel afin de prévenir les risques de conflit.

Jeune Afrique : Quand le Niger peut-il espérer organiser une nouvelle réunion de réconciliation ?

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Mohamed Anacko : Difficile à dire. Il n’y a pas encore de dates car cela dépend de la situation sur le terrain. Les communautés invitées sont désormais encore un peu plus en état de guerre.

Qu’est ce qui coince encore dans l’application des accords d’Alger ?

Je crois qu’il y a surtout une mauvaise volonté de la part du gouvernement. Il devait créer l’environnement propice à l’application du cessez-le-feu. Pourtant, c’est une milice progouvernementale qui aurait provoqué les combats ayant abouti à l’annulation de la rencontre de Niamey. Donc, soit le gouvernement contrôle cette milice et est complice, soit celle-ci est hors de contrôle et cela voudrait dire qu’il n’y a plus d’État et plus d’armée nationale, ce qui est encore pire.

Le gouvernement malien ne voudrait pas de l’application de ces accords ?

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Le gouvernement malien a surtout à cœur la reprise de Kidal. Malgré la signature des accords d’Alger, cette plaie est toujours là, ouverte. Je pense que Bamako veut absolument récupérer Kidal avant de véritablement mettre en place les accords. Mais diviser pour régner est un mauvais calcul. À force de diviser, il finit par ne plus y avoir personne à gouverner. Les milices qu’un gouvernement a créées peuvent échapper à son contrôle, voire se retourner contre lui, et tout ce qu’il reste, c’est le chaos. Je pense que le Mali va dans le mauvais sens, au devant d’un danger qu’il n’a jamais connu auparavant.

Quel rôle peut jouer le Niger dans cette situation ?

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Le Niger peut évidemment aider à la réconciliation. Aujourd’hui, ce n’est plus seulement un problème entre l’État du Mali et le Nord. Il y a désormais un conflit entre des communautés qui peuvent être présentes à la fois au Niger et au Mali. Mais, au-delà de cette aide, c’est surtout la sécurité du territoire nigérien qui se joue. Il y a toujours un risque de contagion.

Vous vous êtes également inquiété de la situation dans le sud de la Libye. Pourquoi ?

Pour les mêmes raisons. Si les communautés s’entredéchirent dans le sud libyen, il n’y a pas de raisons que cela s’arrête à la frontière du Niger. C’est une préoccupation du gouvernement nigérien et nous avons créé, au niveau de la région d’Agadez, un comité de paix chargé de prévenir les risques de conflit, dans lequel on a impliqué toutes les communautés, touarègues et arabes. L’idée est qu’elles aient une action de sensibilisation dans le sud de la Libye, en particulier chez les jeunes, pour leur expliquer que la guerre au nord du pays n’est pas la leur. Tant que la crise entre les deux « gouvernements » n’est pas résolue, il faut éviter que les communautés du Sud choisissent un camp.

Comment se passe la cohabitation avec l’opération française Barkhane, déployée notamment à Agadez et censé combattre le terrorisme au Sahel ?

Avant tout, il faut dire que, si Barkhane n’avait pas été là, le dernier verrou nigérien aurait sauté lors de la guerre du Mali. L’armée nationale n’aurait pas pu empêcher les terroristes de venir s’installer dans le Nord. Mais il est vrai que Barkhane a pâti au départ d’un manque de communication. Quand vous envoyez des hélicoptères et des avions dans le désert, sans avoir mis en place un dispositif d’information, il faut s’attendre à ce que les populations y voient une nouvelle forme de colonialisme. Avec le temps, cela s’est arrangé, même s’ils ne sont toujours pas proches des gens.

Il faut une collaboration avec les habitants, qui connaissent la région. Sinon, Barkhane va se contenter de faire du tourisme dans le désert

C’est-à-dire ?

Les habitants ne comprennent pas que Barkhane n’agisse que sur certains groupes armés. Il y a des bandes, venues du Tchad ou du Soudan par exemple, qui pratiquent le pillage, en particulier depuis que l’orpaillage a pris une place importance. Mais Barkhane, parce que ce n’est pas sa mission, ne s’intéresse pas à eux. Pas davantage que les forces de sécurité nigériennes d’ailleurs. Pourtant, ce sont ces personnes qui créent les conditions propices à l’installation du terrorisme. Le risque, c’est que la population crée des milices pour se défendre. De plus, la lutte contre le terrorisme, c’est d’abord le renseignement. Il faut une collaboration avec les habitants, qui connaissent la région. Sinon, Barkhane va se contenter de faire du tourisme dans le désert.

La résolution des conflits sahéliens passe donc d’abord par le dialogue avec les communautés transfrontalières ?

Bien sûr. C’est pour cela que nous avons créé le Cabinet d’analyses et d’actions pour la sécurité et la paix au Sahel, basé à Niamey. Notre idée est d’organiser des conférences, des rencontres entre les groupes présents en Libye, au Mali, en Algérie, au Niger et au Tchad. Nous voulons donner un outil aux États pour le dialogue et le développement dans leurs zones frontalières. C’est une sorte de bureau de liaison pour lequel le gouvernement nigérien nous a promis de sensibiliser les pays voisins.

Pensez-vous que ces États soient d’accord pour appuyer cette initiative ?

Difficile à dire. Il y a toujours une peur des communautés transfrontalières sous prétexte qu’elles finiraient par revendiquer un État indépendant, ce qui est faux. Il faut dépasser cette crainte. Bien sûr, c’est difficile. Nous l’avions fait il y a quinze ans au Niger, en intégrant des populations touarègues du Nord aux forces de sécurité. Pourtant, aujourd’hui, nous sommes en train de revenir à la case départ, parce que la bureaucratie se méfie toujours. Les personnes intégrées partent à la retraite et il n’y a pas de relève. Résultat : l’armée, par exemple, est dominée par deux ethnies du Sud et, à Agadez, les locaux ne lui font pas confiance. Nous n’avons toujours pas réussi à faire en sorte que les gens se sentent chez eux.

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