Les obsèques à Kinshasa : un casse-tête et une belle occasion de « pleurer-rire »
Quand nos semblables passent de vie à trépas, faut-il pleurer ou rire ? Pleurer, bien sûr.
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 25 août 2015 Lecture : 2 minutes.
C’est le premier réflexe de l’espèce humaine. Pour ma part, en voyant comment les choses se passent ici, sans doute ailleurs aussi, je préfère utiliser l’expression pleurer-rire. Et je l’emprunte à l’écrivain, homme politique et diplomate congolais de Brazzaville Henri Lopes, qui, comme beaucoup ne le savent peut-être pas, est né à… Kinshasa.
Les décès sont devenus des casse-têtes
Jadis, ici, la disparition d’un proche était vécue comme un drame, une tragédie, une douleur éternelle. Aujourd’hui, c’est plutôt un casse-tête… kinois pour les miséreux et une démonstration de puissance financière pour les nantis. Lorsqu’un nécessiteux trépasse dans un hôpital, sa famille déprime. Le faire soigner était déjà un grand exploit. À présent, comment faire sortir sa dépouille de la morgue où elle est prise en otage ?
Deuxième problème : comment donner à manger et à boire à tous ceux qui, ayant appris le décès par la voie des ondes, affluent tous les soirs les mains vides, en signe de compassion ? La vérité est pourtant simple : la plupart de ceux qui viennent ne connaissent le trépassé ni de près ni de loin. Ils consacrent l’essentiel de leur temps à écouter les communiqués nécrologiques pour repérer les endroits où ils peuvent aller manger, boire et dormir sans rien débourser pendant une semaine au moins.
Pour eux, il n’y a pas de honte à être pique-assiette quelles que soient les circonstances : on va à un deuil sans invitation. Et la famille démunie du mort ? Il lui reste une chance : demander de l’aide aux professionnels, autrement dit aux Congolais expatriés, qui, le temps de remplir une fiche, peuvent effectuer un transfert d’argent. Mais tout le monde n’a pas de professionnels à l’étranger. L’affaire se corse !
Les nantis mieux lotis
Les nantis, pour leur part, n’ont pas de souci à se faire. En plus de leurs dents longues, leurs moyens et relations sont kilométriques. Des enveloppes pleines de billets de dollars neufs leur tombent dessus comme une pluie diluvienne. En un clin d’œil, ils reçoivent de quoi nourrir des milliers de démunis pendant des mois. Une partie de cette manne servira à louer une salle digne de leur rang. Le corps du défunt y sera exposé quarante-huit heures durant, ou plus, avant de prendre le chemin du cimetière.
Quant aux éternels fauchés, ils pourront, si la cotisation a été fructueuse, louer un tout petit espace dans la cour d’une mairie. Leurs morts vont cohabiter. Lorsque les uns seront en train de pleurer, les autres seront subjugués par le prêche d’un prophète autoproclamé ou en train de rire sans aucune retenue. Mais les resquilleurs qui suivent attentivement les communiqués nécrologiques à la radiotélévision trouvent leur compte partout, chez les nantis comme chez les pauvres.
Le coût des obsèques ? Au minimum 8 000 dollars dans l’un des cimetières les plus huppés de Kinshasa. Il est divisé en zones portant chacune le nom d’une commune de la capitale, de la plus chic à la plus misérable. Et c’est cela qui conditionne le choix des familles. L’un des cimetières offrait un cocktail digne de son rang après les obsèques. Jusqu’à ce que le personnel se rende compte que les mêmes individus assistaient à plusieurs obsèques par jour, avant d’aller au cocktail. La mort peut faire aussi le bonheur de tous les ventres creux.
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