Peter Henry Barlerin : « La reconduction de l’Agoa envoie un signal fort aux investisseurs »
Alors que le 14e forum international de l’African growth opportunity Act (Agoa) s’ouvre ce lundi 24 août à Libreville au Gabon, Peter Henry Barlerin, le directeur des affaires économiques et régionales au sein du bureau Afrique du département d’État américain a répondu aux questions de « Jeune Afrique ».
Ancien conseiller spécial du président américain pour le Processus de Kimberley, Peter Henry Barlerin dresse le bilan des quinze ans de la loi Agoa qui donne aux économies subsahariennes un accès préférentiel au marché américain. Et alors que l’Agoa a été prorogée jusqu’en 2025, le diplomate américain livre une analyse sur la manière dont les relations économiques entre les États-Unis et l’Afrique pourraient évoluer durant les prochaines années.
Jeune Afrique : Quinze ans après la promulgation, en mai 2000, de la loi qui l’a instaurée, pouvez-vous dire que l’Agoa a atteint ses objectifs de départ ?
Peter Henry Barlerin : Le bilan est très positif. L’Agoa, c’est la pierre angulaire des relations économiques entre les États-Unis avec les pays éligibles d’Afrique subsaharienne. En offrant l’accès en franchise de droit au marché américain, ce régime de préférences a permis aux pays éligibles d’améliorer leur croissance, de diversifier leurs exportations vers les États-Unis et d’initier une croissance inclusive.
Les pays éligibles peuvent exporter sans droits de douanes vers les États-Unis des articles manufacturés ayant une importante valeur ajoutée, tels que les produits textiles. C’est au total près de 4 600 produits qui entrent en franchise de droits sous le système de préférence généralisée (SPG) des Etats-Unis. Et 1 800 autres produits qui entrent sous l’Agoa. La plupart des produits en provenance de l’Afrique subsaharienne entre en franchise de droits. Pour nous, c’est donc un succès. Et je crois qu’il en est de même pour les pays africains.
Pouvez-vous illustrez ce succès par des exemples précis ?
Je pourrais surtout dire que certains pays ont beaucoup profité plus que d’autres que d’autres. Par exemple, l’Éthiopie, le Kenya, l’Afrique du Sud ou encore Maurice et Madagascar ont beaucoup bénéficié du système Agoa dans le domaine du textile, des chaussures, des fleurs, des huiles de noix, des légumes et fruits transformés ou semi-transformés.
Selon certaines études, ce dispositif a permis la création d’environ 300 000 emplois directs dans les pays bénéficiaires, ce qui pourrait représenter plusieurs centaines de milliers d’emplois indirects sur le continent.
Mais d’après les chiffres officiels c’est surtout l’industrie des hydrocarbures qui a le plus bénéficié des avantages de l’Agoa…
Il est vrai que dans les premiers temps de l’Agoa, nous avons importé beaucoup de pétrole des pays africains, notamment en raison de la qualité du brut en provenance de l’Afrique de l’Ouest – conforme aux exigences de nos raffineries – et pour diversifier nos sources d’approvisionnement en raison de la situation est très volatile dans certaines régions du monde comme au Moyen-Orient.
Mais depuis le développement de nouvelles technologies aux États-Unis pour l’exploitation du pétrole de schiste en particulier, les importations pétrolières sous l’Agoa sont en baisse et l’importation de produits non pétroliers a atteint 4,4 milliards de dollars en 2014 soit près du triple du niveau de 2001.
Les économies africaines éligibles ont-elles bien compris comment tirer le mieux profit de cette loi ?
Nous essayons d’encourager une meilleure utilisation de l’Agoa et aussi d’encourager l’intégration du commerce entre les pays africains. Dans l’Union européenne ou aux États-Unis, la transformation industrielle implique plusieurs régions. Plusieurs pays de l’UE sont par exemple impliqués dans la production d’un Airbus. C’est une des lacunes du continent africain. Les pays de la zone n’ont pas la possibilité de bénéficier d’économies d’échelle et ils sont moins compétitifs sur le marché international.
Notre agence de développement, l’USAID a des bureaux régionaux sur le continent : Accra, Nairobi, Gaborone qui essaient d’encourager une meilleure utilisation de l’Agoa et promouvoir un plus grand libre échange entres les pays.
Concrètement qu’est ce que cela signifie ?
L’USAID aide les PME à renforcer leurs capacités et à s’adapter aux normes du marché américain pour mieux profiter de l’Agoa. Nous mettons également à disposition le service d’inspection pour la santé des animaux et des plantes (Aphis) de notre département de l’Agriculture qui aide les entreprises africaines à répondre aux normes sanitaires et phyto-sanitaires encadrant les importations d’animaux et de produits végétaux aux États-Unis.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que l’Agoa profite surtout aux grandes entreprises internationales via leurs filiales installées en Afrique subsaharienne?
Ce n’est pas un problème d’après moi. Pour nous, l’Agoa fonctionne comme il devait fonctionner. Les grandes sociétés, qu’elles soient américaines ou d’autres nationalités, qui s’installent en Afrique subsaharienne paient leurs impôts, elles recrutent des ouvriers et des cadres africains. Et c’est une bonne chose car cela augmente la capacité de production des pays subsahariens.
Agoa est prorogée jusqu’en 2025. Qu’est qui change dans le dispositif ?
Il faut d’abord noter que la prorogation de l’Agoa pour dix années supplémentaires a été approuvée par une majorité écrasante, ce qui est un grand soulagement pour nous !
Le nouveau cadre fixé par la loi Agoa Extension and Enhancement Act of 2015 contient notamment des dispositions sur le textile issu de pays tiers dans l’optique de soutenir cette industrie (textile et confection) en Afrique subsaharienne pour les pays éligibles. Cette loi envoie un signal fort aux investisseurs y compris les multinationales : ils peuvent et doivent investir en Afrique avec confiance.
Cette nouvelle loi contient en outre une disposition spécifique relative à la promotion du rôle des femmes dans le développement socio- économique et reconnaît celui que joue la société civile dans la promotion du commerce.
Pour l’instant, l’Agoa ouvre le marché américain à l’Afrique subsaharienne, les États-Unis vont-ils négocier une réciprocité de cette loi, comme c’est le cas aujourd’hui avec les APE qui lient l’Union européenne et l’Afrique ?
C’est précisément le thème du forum qui se tient à Libreville. Agoa a 15 ans, nous voulons tracer la voie vers davantage de partenariats durables entre les États-Unis et l’Afrique dans le domaine des investissements et du commerce.
Nous avons dix ans de plus pour aller vers une relation plus réciproque. C’est une bonne chose non seulement pour les États-Unis, mais aussi pour l’Afrique subsaharienne.
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