Chine : adieu, la croissance à 2 chiffres !
Depuis quelques mois, la Chine, locomotive de l’économie mondiale, s’essouffle. Elle devrait bientôt repartir, sur un rythme plus modéré. C’est tout sauf une mauvaise nouvelle.
Ni les spéculateurs ni les commentateurs ne sont très cohérents dans leurs analyses de l’économie chinoise. Il y a quelques mois, ils s’inquiétaient d’une surchauffe qui provoquait de dangereuses bulles spéculatives et un fort regain de l’inflation, donc des protestations populaires. Depuis le mois de juin, les mêmes augures s’effraient d’un coup de froid qui freine l’activité du pays, principale locomotive de la planète depuis dix ans.
Il est vrai qu’une décélération est à l’oeuvre. Depuis 2011, le gouvernement a efficacement relevé les taux d’intérêt et les réserves obligatoires des banques afin de contrôler la spéculation, notamment immobilière. Dans cette tâche d’assainissement destinée à préserver la paix sociale dans une année de transition politique, il a été aidé au-delà de ses espérances par le marasme de la zone euro, qui a provoqué un ralentissement des achats de cette dernière en Chine. En juillet, les exportations à destination de l’Union européenne avaient reculé de 16 % sur un an.
En cette année de transition politique, il fallait coûte que coûte préserver la paix sociale.
Du coup, depuis la fin du printemps, tous les indicateurs piquent du nez. Le rythme de la croissance est passé de 10,4 % en 2010 à 9,3 % en 2011, puis à 7,8 % au cours du premier semestre de cette année. Il a donc franchi le seuil fatidique des 8 %, au-dessous duquel, nous expliquait-on, les émeutes étaient censées se multiplier. Même régression du côté des ventes de détail depuis le début de l’année : + 15,2 % en mars, + 13,8 % en mai, + 13,1 % en juillet…
Stocks encombrants
Commentaire du ministère du Commerce extérieur : « Avec la crise européenne qui se propage et l’économie mondiale qui se redresse à un rythme plus lent que prévu, nous nous attendons que la situation de notre commerce extérieur s’aggrave au second semestre. » D’ores et déjà, les industriels souffrent de stocks anormalement élevés. Selon la Fédération des industries de Hong Kong, quelque 2 000 entreprises implantées le long de la rivière des Perles, en Chine méridionale, sont menacées. Elles fabriquent des jouets, des chaussures, des montres (très) bon marché… En Australie, le groupe minier BHP Billiton a décidé de différer des investissements d’un montant total de 20 milliards de dollars (environ 16 milliards d’euros), au vu de la moindre appétence de la Chine pour son minerai de fer.
De là à prédire la catastrophe, il y a un pas que deux spécialistes de l’Asie, Jean-Luc Buchalet et Pierre Sabatier, franchissent allègrement dans leur livre La Chine, une bombe à retardement (Eyrolles, mai 2012). Pour eux, « un système qui repose sur la force plutôt que sur le droit, sur la spéculation plutôt que sur la rentabilité à long terme et sur des rapports féodaux plutôt que sur des institutions porte les germes de sa propre ruine ».
Pourtant, ce scénario d’une Chine entraînant le reste du monde dans sa dégringolade n’est peut-être pas le plus vraisemblable. D’abord, parce que la croissance (sans doute 7,5 % en 2012) et la consommation demeurent vigoureuses et feraient bien des envieux en Europe. Ensuite, parce que l’inflation est en passe d’être maîtrisée, à 1,8 %. Certes, les statistiques chinoises n’ont pas la réputation d’être complètement indépendantes des voeux du pouvoir, mais celui-ci, dont on dit qu’il pilote son économie comme une Game Boy, a depuis deux mois pris des mesures pour contrer le risque de dépression : baisse des taux d’intérêt (en juin et juillet), accélération des autorisations pour des chantiers d’infrastructures de l’agence centrale de planification, prime de 50 euros pour tout achat d’un climatiseur ou d’un téléviseur à écran plat… Comme le disait le Premier ministre, Wen Jiabao, en mai : « La priorité donnée au maintien de la croissance doit être renforcée. »
L’Occident peut respirer. La concurrence des produits chinois devrait être à l’avenir moins implacable.
Fin août, trois grandes villes chinoises, Tianjin, Chongqing et Changsha, ont tour à tour annoncé la mise en place de plans d’investissements colossaux, sur plusieurs années, afin de soutenir certains secteurs industriels. Au total, le montant de ces investissements avoisine les 480 milliards d’euros. À peu près autant que celui du plan de relance décidé par Pékin en 2008, quand la récession mondiale menaçait. Le pouvoir central aurait-il délégué aux collectivités locales le soin de relancer la machine ?
« Défi colossal »
D’autre part, le cabinet de conseil australien Macquarie relève que les prix de l’immobilier ont progressé en juillet, pour le deuxième mois d’affilée, dans 70 villes chinoises, ce qui traduirait une amélioration du moral des acheteurs.
La majorité des observateurs chinois parient sur un redémarrage au troisième ou au quatrième trimestre. Sans le dire, ils s’attendent que la fin du suspense (relatif) concernant l’identité du nouveau président et du nouveau Premier ministre, qui seront désignés lors du congrès du Parti communiste, en octobre, lève les blocages psychologiques et politiques qui ont provoqué le report de nombreux investissements. Autrement dit, la locomotive serait prête à repartir à toute vapeur. La Chine serait en passe de résoudre le casse-tête que les analystes de la société d’investissement américaine Blackrock définissent en ces termes : « Relever le défi colossal d’accroître le poids de la consommation dans l’économie, tout en évitant que celle-ci ralentisse pendant l’année coïncidant avec le changement de leadership. »
Reste que cette reprise ne se traduira plus jamais par une croissance à deux chiffres, puisque le gros des infrastructures a été réalisé et que le pouvoir a mesuré les risques d’une économie focalisée sur les exportations. Si ce rythme plus raisonnable se confirmait, ce serait une bonne nouvelle pour l’environnement, moins agressé, pour les prix des matières premières, moins tendus, et pour les emplois des pays industrialisés, moins menacés par la concurrence implacable des produits venus d’Asie orientale.
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