Turquie : à deux mois des législatives, Erdogan resserre l’étau sur les médias
À deux mois des législatives, la pression du régime du président Recep Tayyip Erdogan sur les médias est encore montée d’un cran en Turquie. La police ont notamment perquisitionné mardi les locaux des journaux Bugün et Millet et de la chaîne de télévision Kanaltürk, dans le cadre d’une enquête « antiterroriste ».
Le régime semble être décidé à ne pas relâcher la pression, à deux mois des législatives, prévues le 1er novembre. Les forces de l’ordre ont ainsi lancé un coup de filet, mardi 1er septembre, contre un groupe de médias, Koza-Ipek, proche de l’opposition, tandis que deux journalistes britanniques avaient été incarcérés la veille, lundi.
Selon l’agence de presse progouvernementale Anatolie, les forces de l’ordre ont perquisitionné dans les locaux de 23 sociétés appartenant à Koza-Ipek, dont les journaux Bugün et Millet et la chaîne de télévision Kanaltürk, dans le cadre d’une enquête « antiterroriste ». Six personnes ont été arrêtées, selon Anatolie.
« Ennemi public numéro 1 »
Koza-Ipek, holding connue pour être proche de l’imam Fethullah Gülen, dispose d’un groupe de presse et d’intérêts dans les secteurs de l’énergie et de la métallurgie. Ancien allié de Recep Tayyip Erdogan, l’imam Gülen, qui dirige à partir des États-Unis un influent réseau d’ONG, de médias et d’entreprises, est devenu l’ « ennemi public numéro 1 » de l’homme fort de la Turquie, qui l’accuse d’avoir bâti un « État parallèle » pour le renverser.
Visé lui-même par un mandat d’arrêt, le patron du groupe Koza, Akin Ipek, actuellement à l’étranger, a catégoriquement nié toute activité illégale. « Si elle (la police) arrive à trouver un centime provenant d’activités illégales, je suis prêt à lui céder mon entreprise », a-t-il plaisanté sur les ondes de Kanaltürk.
L’opposition a également immédiatement dénoncé les raids de la police. « Nous ne pouvons parler de démocratie dans un pays où la presse est réduite au silence », a réagi son chef de file social-démocrate, Kemal Kiliçdaroglu.
Deux journalistes britanniques détenus
Cette nouvelle offensive intervient au lendemain de l’incarcération de deux journalistes britanniques de la chaîne d’information Vice News qui couvraient les affrontements entre forces de sécurité et militants kurdes dans le sud-est de la Turquie.
Tous deux ont été inculpés pour « participation à des activités terroristes » en lien avec l’État islamique. Des accusations jugées « sans fondement » par Vice News, qui a exigé leur libération immédiate. « En détenant illégalement des journalistes étrangers, les autorités turques poussent leur mépris de la liberté des médias à un nouveau niveau », a quant à lui dénoncé Johann Bihr, de Reporters sans frontières (RSF).
Une opération planifiée ?
Le pouvoir affirme de son côté n’avoir joué « aucun rôle » dans cette arrestation et ne pas être « satisfait » de l’incarcération des deux reporters, a assuré mardi une source gouvernementale. Cependant, quelques jours avant les faits, Fuat Avni, la « gorge profonde » qui distille depuis des mois sur les réseaux sociaux des informations exclusives sur le pouvoir, avait annoncé la nouvelle offensive de la police. « Erdogan a ordonné de réduire les médias critiques au silence », avait-t-il prévenu.
Selon lui, les quotidiens Sözcü, Taraf et Cumhuriyet seraient également dans la ligne de mire du président, tout comme le puissant groupe Dogan. Cumhuriyet, qui avait suscité l’ire du pouvoir en reproduisant en juin des photos qui suggéraient que la Turquie avait livré des armes à l’État islamique, fait déjà l’objet de poursuites. Tout comme les titres du groupe Zaman, proche lui aussi de l’imam Gülen.
Dénonçant un harcèlement du gouvernement, Sözcü a quant à lui paru mardi sans ses éditoriaux habituels, remplacés par des colonnes blanches. De plus, mardi 1er septembre, une présentatrice d’une émission de la télévision publique TRT, Deniz Ulke Aribogan, a été licenciée. Dans un tweet, elle avait condamné le raid contre le groupe Koza-Ipek.
Climat tendu
Cette opération de police intervient dans un climat particulièrement tendu, les violences ayant repris entre les forces armées et les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le président étant reparti en campagne électorale.
Les législatives du 7 juin, qui ont privé le Parti de la justice et du développement (AKP) de Recep Tayyip Erdogan de la majorité absolue, n’ont pas permis de former un nouveau gouvernement. Le chef de l’État espère donc que l’AKP obtiendra le 1er novembre une très large majorité pour renforcer ses pouvoirs.
L’Union européenne (UE) s’est dite mardi « préoccupée » par les attaques contre la presse en Turquie. Washington a de son côté rappelé la Turquie « à respecter les valeurs démocratiques universelles, qui incluent la liberté de la presse et l’accès aux médias d’informations ».
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