Tunisie – Mohsen Marzouk : « La crédibilité de l’Instance vérité et dignité est entamée »

Mohsen Marzouk, secrétaire général de Nidaa Tounes, revient sur les dossiers les plus chauds de la politique tunisienne. Interview.

Mohsen Marzouk dans son bureau à Tunis, le lundi 31 août. © Sophia Barakat pour J.A.

Mohsen Marzouk dans son bureau à Tunis, le lundi 31 août. © Sophia Barakat pour J.A.

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 3 septembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Le torchon brûle entre Nidaa Tounes, le parti vainqueur des élections d’octobre 2014, et Sihem Ben Sedrine, la présidente de l’Instance vérité et dignité (IVD), l’institution en charge de la justice transitionnelle. En cause : le projet de loi présidentiel sur la réconciliation économique, voulu par Béji Caïd Essebsi. Mohsen Marzouk, qui fut l’un des plus proches collaborateurs de « BCE » au palais de Carthage avant d’être désigné, le 15 juin, secrétaire général de Nidaa Tounes, nous livre son analyse.

Jeune Afrique : Le projet de loi de réconciliation nationale fait débat. Il est perçu par beaucoup comme une initiative qui va récompenser les tricheurs, au moment où chacun déplore la montée des incivilités, le mépris de la loi et l’explosion de la contrebande…

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Mohsen Marzouk : Il y a un grand malentendu au sujet de cette initiative. Le projet ne prévoit pas de « passer l’éponge » ou d’absoudre les tricheurs, qui devront restituer l’intégralité des sommes spoliées. Et payer des pénalités. En revanche, il est vrai que le projet de loi ne prévoit pas de peines de prison pour ceux qui se dénonceront. Il s’inscrit dans le processus de la justice transitionnelle, et d’ailleurs, deux membres de l’IVD siègeront dans la future commission de réconciliation, qui comptera six membres.

La vraie question, à mon sens, c’est la question de l’intérêt de l’État. Est-il de mettre des gens en prison, ou de récupérer l’argent spolié ? Je souhaite qu’on spécifie clairement que l’argent récupéré sera affecté au développement régional, et profite aux régions les plus pauvres du pays, par exemple en alimentant un fonds pour la scolarisation des élèves de ces régions. Cette loi aura un impact positif sur l’économie, sur l’investissement, et sur l’administration, car aujourd’hui, beaucoup de fonctionnaires ne veulent plus prendre aucune initiative, de peur des poursuites dont ils pourraient faire l’objet.

Les démissions au sein de l’IVD, l’Instance vérité et dignité, se sont multipliées, et sa présidente, Sihem Ben Sedrine, est très controversée. Est-elle en mesure de poursuivre son mandat à la tête de l’institution ?

C’est au Parlement et aux membres de l’Instance de juger. Mais au vu des témoignages qui nous parviennent de certains de ses membres ou de ses anciens membres, on peut effectivement se poser des questions. Je crois savoir que des parlementaires ont adressé une motion au président de l’Assemblée en vue de créer une « commission vérité » sur l’IVD. Toutes les frictions auxquelles nous avons assisté entament la crédibilité de cette institution étatique. Par le passé, la présidente de l’Instance s’est affichée aux côtés de membres des « Ligues de protection de la Révolution ». Au lieu de se tenir à l’écart des tiraillements partisans, elle semble au contraire les instrumentaliser.

Driss Benzekri, au Maroc, avait l’étoffe d’un Mandela arabe.

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Au Maroc, les choses se sont passées bien différemment. Driss Benzekri, le premier président de l’IER, l’Instance équité et réconciliation, mise en place par Mohammed VI, avait l’étoffe d’un Mandela arabe. Cet homme avait passé 18 ans dans les geôles, et malgré cela, il a montré un ascendant moral extraordinaire par rapport à sa propre situation d’ex-victime, en se transformant en chantre de la réconciliation. Personne ne nous fera croire que la dirigeante de l’IVD était une victime de la dictature, au sens où Driss Benzekri a pu l’être, lui. Pourtant, trop souvent, elle se laisse aller à des sentiments revanchards.

Rached Ghannouchi, le leader du parti islamiste Ennahdha, vient d’exhorter les autorités à « entamer des négociations » pour rapatrier les jihadistes repentis, qui ont combattu en Syrie et en Irak. Taieb Baccouche, le ministre des Affaires étrangères, issu de votre parti, a semblé appuyer cette proposition. Quelle est votre sentiment ?

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Avant de répondre directement, une observation. La mobilisation internationale n’est pas à la hauteur de la menace, qui est globale. Donc oui, nous sommes en guerre et je pense que cette guerre devrait être menée avec les moyens de la guerre, en appliquant les lois de la guerre, régie par des conventions. Mais il faut bien s’entendre sur les termes et ne jamais perdre de vue que ces gens qui se disent repentis sont d’abord des ennemis. Pas des « égarés », des ennemis. Il faut les considérer comme des prisonniers de guerre qui se seraient rendus.

On peut et on doit traiter avec eux, mais on ne peut pas passer l’éponge purement et simplement au prétexte qu’ils se seraient égarés, juste pour avoir la paix. Il ne faut pas répéter l’erreur de l’amnistie générale de février 2011, qui a abouti à la libération d’Abou Iyadh [le dirigeant de l’organisation terroriste Ansar El Sharia, présumé mort dans un bombardement en Libye, NDLR]. Il faut des garde-fous avant de croire en la sincérité de leur repentir. Il faut donc bien s’informer en amont et partager les renseignements avec les autres pays. Et ne pas baisser la garde.

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