RDC : moi, j’ai vu « La colère d’Hippocrate »
Beaucoup de Congolais ne verront sans doute pas ce film. Kinshasa a décidé, le 2 septembre, d’interdire la projection dans la capitale congolaise du documentaire « L’homme qui répare les femmes. La colère d’Hippocrate ». Un film sur les violences sexuelles et l’action du docteur Denis Mukwege dans l’est de la RDC.
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Trésor Kibangula
Analyste politique, Congo Research Group/Groupe d’étude sur le Congo
Publié le 4 septembre 2015 Lecture : 3 minutes.
Moi, je l’ai vu en avant-première fin mars à Paris. Et mes larmes ont coulé. Une fois. Deux fois. Trois fois. Non, ce n’était pas parce que l’honneur des FARDC (armée nationale congolaise) aurait été traîné dans la boue – raison officielle de l’interdiction de la projection prévue les 8 et 9 septembre à Kinshasa – mais parce que j’ai revu l’horreur qui a élu domicile depuis deux décennies dans l’est de la RDC.
Comment rester insensible face à ces témoignages de victimes dont les parents, femmes ou mères, ont été enterrés vivants ? Face à ces femmes violées par des garçons qu’on a obligé, sous peine d’être tués, à coucher avec elles, en présence de toute la famille ? Comment garder son sang-froid lorsque défilent les séquences, les unes après les autres, de toutes ces femmes et filles, parfois âgées de moins de deux ans, voire de quelques mois, victimes des crimes sexuels les plus abjects ? Comment rester de marbre sur cette autre scène insupportable qui se déroule dans la salle d’opération de l’Hôpital Panzi de Bukavu, dans le Sud-Kivu. Ce jour-là, le docteur Denis Mukwege se rend compte qu’il est en train d’opérer une petite fille violée née elle-même… d’un viol.
Ce jour-là, j’ai vu la colère d’Hippocrate. Et j’ai compris pourquoi ce chirurgien, prix Sakharov 2014, qui a soigné en 17 ans des milliers de victimes de violences sexuelles, a décidé de passer à l’action. De ne plus se contenter d’être « l’homme qui répare les femmes » mais de troquer de temps en temps sa blouse de gynécologue pour un costume-cravate de porte-voix. « Basta ! » comme s’est si bien exclamé dans le film Marcellin Cishambo, gouverneur du Sud-Kivu et ancien conseilleur du président Joseph Kabila. Basta ! « Il n’est plus le temps de nous indigner, il est temps d’agir », répète désormais Denis Mukwege partout où il passe pour dénoncer la persistance des violences sexuelles, érigées en armes de guerre lors de récents conflits armés, dans l’est de la RDC.
Réparer les femmes violées, quel métier à risques !
Le documentaire de Thierry Michel et Colette Braeckman rend donc hommage à cet engagement du docteur Mukwege. Un engagement au péril de sa vie. Le film revient notamment sur cet épisode tragique de tentative d’assassinat du chirurgien devant sa résidence. Cette nuit-là de fin octobre 2012, des hommes armés avaient tiré sur Mukwege mais ne l’avaient pas atteint. Un gardien de la maison de ce dernier, lui, n’a pas eu la même chance.
Réparer les femmes violées, quel métier à risques ! Un métier qui dérange. Le chirurgien a dû partir se mettre à l’abri en Belgique. Juste pour quelques temps. Un exil vite interrompu par la ferveur des femmes du Kivu qui n’avaient cessé de se mobiliser pour son retour.
Fort de son charisme et de sa popularité de plus en plus grande dans l’Est, Mukwege caresserait-il des ambitions politiques ? En tout cas, dans le film, le docteur ne lève pas le voile. Mais beaucoup, dans la classe politique congolaise, en sont convaincus et l’étiquettent « candidat des Blancs ». Le médecin n’est donc plus regardé comme le « simple » réparateur des vagins mutilés par la bestialité, mais comme un potentiel adversaire politique. Fin 2014, Mukwege et son hôpital de Panzi ont eu même maille à partir avec le fisc.
En attendant d’y voir clair, « L’homme qui répare les femmes. La colère d’Hippocrate » est à l’honneur au Festival international du film de la diaspora africaine qui s’ouvre du 4 au 6 septembre à Paris. Comme pour confirmer le dicton : « Nul n’est prophète en son pays. »
Le teaser de « L’homme qui répare les femmes. La colère d’Hippocrate »
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