Le procès de Hissène Habré reprend à Dakar : que vont faire les avocats commis d’office ?

Alors que ses victimes présumées sont arrivées en masse à Dakar pour la réouverture d’un procès qu’elles attendent depuis 25 ans, l’ancien président tchadien Hissène Habré campe sur sa défense de rupture. Va-t-il à nouveau récuser ses avocats ?

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Publié le 7 septembre 2015 Lecture : 4 minutes.

Le procès tant attendu de l’ancien président Hissène Habré doit reprendre ce lundi à Dakar, après une interruption de 45 jours. Officiellement ouvert le 20 juillet devant les Chambres africaines extraordinaires (CAE), ce procès emblématique – le premier à voir un ancien chef d’État africain jugé dans un pays tiers du continent – avait dû être reporté au bout de 24 heures en raison de la stratégie de rupture adoptée par l’accusé.

Accusé de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et torture, Hissène Habré, qui a présidé aux destinées du Tchad de 1982 à 1990, ne reconnaît nulle légitimité à la juridiction ad hoc – composée d’un président burkinabè assisté de magistrats sénégalais – ayant reçu de l’Union africaine (UA) le mandat de le juger. À l’ouverture du procès, il avait donc interdit à ses avocats de comparaître à l’audience et s’était lui-même muré dans le silence. Face à cette attitude susceptible d’entacher le caractère équitable du procès, le président Gberdao Gustave Kam avait commis d’office trois avocats sénégalais, leur accordant un délai de 45 jours pour s’imprégner du dossier.

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Habré s’en tiendra à sa première stratégie

Un mois et demi plus tard, l’imbroglio juridique est pourtant loin d’être éclairci. La seule certitude, c’est que Hissène Habré ne modifiera pas d’un iota sa stratégie de défense : il n’ouvrira pas la bouche devant ses juges, si ce n’est pour proférer des slogans, comme il l’avait fait en juillet en lançant : « À bas l’impérialisme et le néocolonialisme ! ». Conformément à ses instructions, ses avocats officiels s’abstiendront quant à eux de plaider devant la cour d’assises africaine extraordinaire, réservant leurs déclarations aux coulisses du procès. Quant à leurs trois confrères commis d’office, ils se trouvent aujourd’hui dans une position délicate.

Le dilemme des avocats commis d’office

Saisi par les conseils de Hissène Habré, le Conseil de l’ordre des avocats vient en effet de se prononcer sur la possibilité, pour des représentants du barreau, de défendre les intérêts d’un accusé contre sa volonté. « Le Conseil a rendu son délibéré le 2 septembre, résume Me Ibrahima Diawara, l’un des avocats de Hissène Habré. S’il ne formule pas d’interdiction explicite à l’égard de mes confrères commis d’office, il considère que ce scénario serait contraire à la déontologie de la profession. » Mes Mbaye Sène, Mounir Balal et Abdou Gningue sont donc confrontés à un conflit de loyauté : doivent-ils privilégier l’avis du Conseil de l’ordre ou l’ordonnance de commission d’office du président Kam, au risque de se retrouver exposés par la suite à des sanctions disciplinaires ? « C’est à eux de se déterminer », conclut Me Diawara.

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Selon Reed Brody, porte-parole de Human Rights Watch, qui suit depuis l’origine la procédure intentée contre l’ancien président tchadien, les textes sénégalais et la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux démontrent que « Hissène Habré ne pourra pas récuser les avocats commis d’office qui ont été désignés afin d’assurer à la fois un procès équitable et une bonne administration de justice ».

D’une part, rappelle cet expert du dossier qui fut lui-même avocat aux États-Unis, le code de procédure pénale sénégalais impose la présence d’un défenseur auprès de l’accusé à l’audience. D’autre part, la loi portant création de l’ordre des avocats du Sénégal prévoit qu’un avocat commis d’office ne peut être révoqué que par le président du tribunal ou le bâtonnier. Enfin, la jurisprudence des tribunaux ad hoc sur l’ex-Yougoslavie, le Rwanda ou la Sierra Leone a avalisé par le passé la nomination d’avocats commis d’office par le tribunal, même contre la volonté de l’accusé, afin de garantir le caractère contradictoire du procès et l’exercice des droits de la défense. Reste que le statut des CAE, comme le rappelle Me Diawara, accorde à l’accusé le droit de « se défendre lui-même ou [d’]être assisté d’un conseil de son choix ».

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Une plainte contre Idriss Déby Itno

Parallèlement à cette controverse juridique qui risque d’animer la première journée du procès, ce 7 septembre, la stratégie de rupture de Hissène Habré a accouché d’une plainte de dernière minute contre son ennemi juré, le président tchadien Idriss Déby Itno (IDI), qui l’avait renversé en décembre 1990.

Déposée au greffe des CAE le 2 septembre par l’avocat sénégalais Mbaye Jacques Ndiaye, au nom de plusieurs victimes tchadiennes encore anonymes, elle porterait sur des crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et tortures reprochés à IDI pendant la période de référence prévue par le statut des CAE, soit entre 1982 et 1990. Selon une source au sein des chambres africaines, cette plainte ne saurait toutefois prospérer : « La période de l’instruction est close et la chambre de l’instruction a été dissoute en février. »

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