Pourquoi les Ouest-Africains sont-ils forts en Scrabble ?
À question hautement polémique dans le milieu des scrabbleurs, réponse stratégique et historique. Ces dernières années, les joueurs d’Afrique francophone font des prouesses aux championnats de Scrabble : ils sont toujours sur le podium. Pourquoi ? Jeune Afrique vous livre les secrets d’une telle réussite.
Le palmarès du Béninois Julien Affaton est impressionnant : champion du monde de Scrabble en 2014, vice-champion en 2012 et 2013. Et même s’il s’est fait détrôner par un Néo-Zelandais (ne parlant pas français) lors des 44e championnats qui se sont déroulés en juillet en Belgique, que les aficionados béninois de Scrabble se rassurent : le pays reste dans le top 3 grâce à François-Xavier Adjovi, médaillé de bronze.
Si le Bénin compte manifestement des joueurs hors pair, les autres pays d’Afrique ne sont pas en reste. Ghanéens, Tchadiens, Sénégalais et Ivoiriens ont déjà gravi les marches du podium.
44e Championnats du monde/Scrabble: Le Sénégal encore honoré… http://t.co/pUPATpl0wr pic.twitter.com/mze6yhMI1q
— sportsenegal.com (@sportsenegal) 27 Juillet 2015
Apprendre le dictionnaire par cœur
Soulevons le scrabblier pour mieux comprendre ce phénomène. Il faut pour commencer un entraînement digne des plus grands athlètes. « C’est un travail de longue haleine : il faut maîtriser le vocabulaire et savoir calculer les points », nous explique François-Xavier Adjovi. Pour ce professeur de mathématiques à Cotonou, calculer rapidement n’est pas un problème. Mais on n’en saura pas davantage sur sa technique, car comme dans toute compétition, “il faut la garder secrète.”
L’apprentissage du vocabulaire a été en revanche un travail titanesque. Cinq jours sur sept, François-Xavier Adjovi se sert de Duplitop, un logiciel qui permet d’apprendre par cœur le dictionnaire officiel du Scrabble. « C’est beaucoup de travail mais mon amour de la langue française le rend ludique. C’est une passion que j’ai développée lorsque j’étais enfant », commente ce « génie en herbe », comme il aime à se qualifier.
Le plus beau coup de ces championnats du Monde de #Scrabble est ici, sans hésiter. pic.twitter.com/Jv61kTeUSv
— Dzibz (@dzibz) 24 Juillet 2015
Un héritage colonial
À l’instar d’Adjovi au Bénin, beaucoup d’Ouest-Africains sont concernés par la complexité du vocable dès leur plus jeune âge, sur les bancs de l’école. « Les instituteurs utilisent des mots compliqués pour montrer qu’ils connaissent bien la langue française », explique un membre de l’Organisation internationale de la Francophonie. « Les livres scolaires sont souvent au dessus du niveau des élèves et il est nécessaire de leur expliquer les mots », ajoute-t-il. Cela reste par la suite…
Mais ce n’est pas uniquement l’école qui produit nos champions ouest-africains. La colonisation y a aussi joué un rôle et les comptes se régleraient aujourd’hui à coup de mots comptes triple. « Ils se font un malin plaisir à manier le français aussi bien, si ce n’est mieux, que les anciens colonisateurs. Ils veulent montrer aux Blancs qu’ils connaissent des mots plus compliqués », poursuit le membre de l’OIF.
Le wolof rapporte plus de points
Si les Africains mettent à l’honneur la langue de Molière, ils n’en oublient pas pour autant les langues régionales. « Admis dans le dictionnaire officiel du jeu, quelques mots wolof et fongbé, par exemple, sont incontestablement une force car ils contiennent plus de points », précise le lieutenant-colonel Roland Kouton, président de la Fédération béninoise de Scrabble. Il nous l’assure : on peut placer le mot « zemidjan » (moto-taxi), « sodabi » (vin de palme) et « mbalax » (genre de musique sénégalaise).
Passionné des mots d’aussi loin qu’il s’en souvienne, Roland Kouton a décidé de fonder une fédération pour permettre aux amateurs béninois de jouer (et le militaire nous l’atteste une fois de plus : « Ils sont très nombreux »). Au compteur : 500 licenciés. « C’est un investissement financier que chaque joueur ne peut pas se permettre. » Comptez 50 euros pour le jeu et 60 pour le dictionnaire. Il ne s’en cache pas : il a fallu « mettre la main à la poche » en plus des sponsorings et des cotisations des adhérents pour financer cette passion. « Il manque aux autres pays d’Afrique des structures organisées pour faire des usines à champions comme chez nous », dit-il avec orgueil.
De son côté, le président de la Fédération sénégalaise du jeu, Amadou Diop Sylla, nous rappelle l’essentiel : la passion. « Les Ouest-Africains ont une qualité particulière : l’amour du jeu. Il savent se remuer les méninges. »
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