Gouvernements triple XL

Notre site jeuneafrique.com, que je ne saurais trop vous recommander de visiter, publie cette semaine une carte interactive assez étonnante : celle du nombre de ministres par pays africain – donc de la taille, le plus souvent triple XL, de leurs gouvernements.

Le gouvernement de Obiang Nguema Mbasogo compte 89 membres, pour moins de deux millions d’habitants. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Le gouvernement de Obiang Nguema Mbasogo compte 89 membres, pour moins de deux millions d’habitants. © Sunday Alamba/AP/SIPA

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 15 septembre 2015 Lecture : 3 minutes.

La disproportion entre ce qui se fait en la matière sur le continent et dans le reste du monde laisse pantois. Jugez-en. Cameroun : 24 millions d’habitants, 41 ministres ; Allemagne : 80 millions d’habitants, 14 ministres. Congo-Brazza : 4,8 millions, 35 ministres ; France : 66 millions, 16 ministres. Guinée : 13 millions, 34 ministres ; Japon : 128 millions, 16 ministres. Centrafrique : 4,5 millions, 29 ministres ;  États-Unis : 325 millions, 15 ministres. Angola : 22 millions, 39 ministres ; Chine : 1,4 milliard d’habitants, 31 ministres, etc.

Et encore : cette comparaison cinglante exclut les vice-ministres et secrétaires d’État. Ajoutons-les et nous obtenons un gouvernement camerounais de 60 membres et un gouvernement équato-guinéen recordman absolu de l’obésité : 89 membres pour moins de 2 millions d’habitants (immigrés compris) ! Précision utile : en Afrique, la pléthore de portefeuilles est essentiellement un phénomène francophone.

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Le Nigeria et ses 181 millions d’habitants ne compte que 19 ministres fédéraux, le Kenya 18, et l’Éthiopie, avec ses 102 millions d’habitants, 23. Sont-ils pour autant moins bien gouvernés ? Évidemment non. Faut-il aller chercher dans les héritages contrastés de la bureaucratie coloniale française et de l’indirect rule britannique les raisons de cette disparité ? C’est probable.

Certes, me dira-t-on, en Afrique, il faut bien tenir compte de ce qu’on appelle pudiquement la géopolitique : un gouvernement y est considéré comme inclusif, a fortiori digne du label d’« union nationale », quand toutes les sensibilités ethno-politiques du pays y sont représentées, à charge pour ceux qui y siègent d’en faire profiter en retour leurs mandants. À cet égard, le gouvernement du président Obiang Nguema Mbasogo fait figure de modèle (ou de caricature, comme on voudra), puisque toutes les localités de ce petit pays y figurent.

Dans le choix d’un ministre, le critère de compétence importe peu

On peut donc comprendre l’embarras de ce chef d’État à qui nous faisions récemment la remarque : « Si je réduis mon équipe, vous m’accuserez d’être ethnocentrique et les exclus mobiliseront leur monde contre moi. » En d’autres termes : la fonction d’un gouvernement est de rassembler pour pouvoir ensuite redistribuer le moins inéquitablement possible. Dans le choix d’un ministre, le critère de compétence importe peu, beaucoup moins en tout cas que celui de son origine ou de son influence communautaire.

L’effet pervers de ce type de casting est, hélas, évident. Il y a, en Afrique francophone, encore beaucoup trop de ministres « parce que » (région, ethnie, clientèle, renvoi d’ascenseur, récompense…) et beaucoup trop peu de ministres « pour que » (projets, programme, capacité d’agir, dynamisme…). L’adéquation entre la personnalité sélectionnée et le poste qu’elle occupe est souvent lointaine, pour ne pas dire inexistante.

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En général, le nouveau venu trouve en arrivant les caisses du ministère vides et le mobilier du bureau emporté. Quant à la cérémonie de passation avec son prédécesseur, qui n’a rien à lui transmettre, elle se réduit à un théâtre d’ombres devant les caméras. Qu’importe d’ailleurs, puisque l’impétrant – après avoir truffé son cabinet de parents avec qui il ne conversera qu’en langue vernaculaire – cherchera à identifier au plus vite les mamelles à presser, afin de compléter son salaire de ministre avec lequel, c’est bien connu, il ne peut rien faire, tant il est misérable.

Et voilà comment on en revient encore, désolé pour lui, à cet ubuesque gouvernement équato-guinéen : savez-vous qu’il existe à Malabo, pour gérer un petit millier de kilomètres de routes, un secrétaire d’État chargé du trafic et un autre pour les péages, lesquels dépendent d’un vice-ministre des Transports, placé sous la houlette d’un ministre délégué aux Transports, qui en réfère lui-même au ministre des Transports, le tout sous l’autorité de l’un des trois vice-premiers ministres ? Ce n’est plus, à ce compte-là, un gouvernement, mais une assemblée générale d’actionnaires, doublée d’un conseil d’administration. Objectif, hélas : se servir plutôt que servir. Il est grand temps d’inverser cette figure de style.

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