Côte d’Ivoire : la Sodefor veut sortir de la jungle
Litiges sur le foncier, marché parallèle, cadres corrompus… La nouvelle direction de la Société de développement des forêts a beaucoup à faire – mais peu de moyens – pour mettre de l’ordre dans ses rangs.
Ces derniers jours, Adou Nioupin espère avoir marqué quelques points dans la lutte qui l’oppose à la Société de développement des forêts (Sodefor, entreprise d’État). Par l’intermédiaire de son avocat français, l’homme d’affaires ivoirien aurait réussi à alerter le président Alassane Ouattara en personne. Le litige porte sur une parcelle de 22 000 ha en bordure de la forêt classée de Mabi (à 100 km au nord d’Abidjan), que la justice lui avait officiellement attribuée en 1998. D’appels en recours, Sodefor ne cesse depuis de contester cette décision, arguant qu’elle a été obtenue alors que l’État n’assurait plus l’application des lois en Côte d’Ivoire. « Il n’y avait plus de justice », répète en boucle Ousmane Koné, nouveau président du conseil d’administration (PCA) depuis mars.
Un patrimoine tronqué
Sodefor gère 231 forêts classées, soit plus de 4 millions d’hectares. Près de 50 % de cette superficie serait occupée illégalement par des agriculteurs.
En 2010, Sodefor a été condamné à payer 400 millions de F CFA (610 000 euros) de dommages et intérêts pour avoir empêché la famille Nioupin de valoriser son patrimoine. Un jugement dont il a bloqué l’exécution. Pis, selon le propriétaire, l’entreprise publique autorise depuis février l’Industrie tropicale de sciage (ITS) à couper du bois dans sa forêt. Le préjudice s’élèverait déjà à plus de 20 milliards de F CFA. Mais impossible pour Adou Nioupin d’arrêter le pillage. Ni le préfet de Yakassé-Attobrou ni le procureur d’Adzopé ne semblent vouloir lui prêter main-forte. C’est finalement en recourant à une milice privée constituée de chasseurs traditionnels dozos qu’il tente de protéger sa parcelle.
État dans l’État
Car Sodefor est une sorte d’État dans l’État. Peu de hauts fonctionnaires et de magistrats sont prêts à lui faire barrage. Quant au dossier Nioupin, il est maintenant suivi directement par la Primature. Interrogé à ce sujet, Ousmane Koné nie être dans l’illégalité, indiquant qu’ITS travaille dans les limites de la forêt appartenant à Sodefor. Une enquête diligentée par la police économique devrait permettre d’y voir clair d’ici peu.
Cette polémique est loin d’être une première pour Sodefor, dont la gestion fait débat depuis plusieurs années. De l’aveu même de son PCA, la situation des 231 forêts classées – soit plus de 4 millions d’hectares – qu’elle supervise est catastrophique. Près de 50 % de cette superficie serait occupée illégalement par des agriculteurs. Un problème insurmontable pour Sodefor, dont les moyens sont très limités. De 24 milliards de F CFA en 1994, son budget est passé à environ 10 milliards en 2010, l’obligeant à multiplier les contrats avec une quarantaine d’opérateurs privés pour valoriser les forêts classées.
Reste que pour empêcher l’installation de planteurs ou veiller au respect par les industriels de leur cahier des charges en termes de reboisement et de quotas de coupe, les bras manquent terriblement. En tout, moins de 700 salariés mal équipés, secrétaires et comptables compris. Pourtant, le secteur forestier mériterait que les pouvoirs publics s’y intéressent davantage. Chaque année, il dégage un chiffre d’affaires de plus de 200 milliards de F CFA et emploie entre 20 000 et 30 000 personnes. Sans compter le marché parallèle.
La récréation est terminée.
Ousmane Koné, PCA de Sodefor
« Pendant les années de crise, les forêts du nord du pays ont été complètement saccagées. Certains comzones, comme Zakaria Koné, étaient connus pour leur implication dans le trafic de bois », explique un ancien cadre de Sodefor. Plus compromettant pour l’entreprise, la direction générale s’est elle aussi rendue complice de la dégradation des forêts en délivrant sans appels d’offres des autorisations à de nombreux industriels. « Ce sont des milliards de F CFA de bakchichs qui ont été distribués », déplore notre interlocuteur. Un trafic qui continue d’attiser les convoitises dans les plus hautes sphères de l’État. Ainsi, au mois de février, Clément Bouéka Nabo, ministre des Eaux et Forêts, a-t-il limogé son directeur de cabinet pour son implication dans des fraudes portant sur l’exportation de bois. En juillet, c’est tout le cabinet qui a pris la porte.
Mauvais exemple
Reste que, sur le terrain, de nombreuses sociétés exploitent des forêts classées en dehors de toute légalité. La Société allemande de coopération internationale (GIZ), ancien partenaire de Sodefor, a d’ailleurs demandé à l’entreprise publique de revenir au plus vite sur certaines autorisations douteuses accordées en 2008 et 2009. Un mauvais exemple venu d’en haut qui se répercute à tous les échelons, les agents forestiers « oubliant » de collecter plus de 50 % des taxes dues, comme le révèle un rapport des états généraux de la forêt réalisé en novembre 2011.
« Après ma nomination, j’ai passé un message de fermeté. La récréation est terminée », assure Ousmane Koné. Pour de nombreux observateurs, c’est sur ses résultats que lui et le nouveau directeur général de Sodefor, Mamadou Sangaré, seront jugés. « L’État doit aussi les aider en leur accordant plus de moyens », estime le député Vénance Thiéa. En attendant, 300 militaires vont être envoyés d’ici à quelques jours pour chasser les agriculteurs squattant les forêts.
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Julien Clémençot, avec Baudelaire Mieu, à Abidjan
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