L’électrification rurale décentralisée : une réponse à la pauvreté énergétique en Afrique

Christine Heuraux est directrice de l’appui à la formation à EDF et Jean-Claude Houssou, chef de la mission « accès à l’énergie » du producteur d’électricité.

Jean-Claude Houssou et Christine Heuraux, du groupe Énergie de France (EDF). DR

Jean-Claude Houssou et Christine Heuraux, du groupe Énergie de France (EDF). DR

Publié le 16 février 2015 Lecture : 6 minutes.

Si la pauvreté énergétique touche majoritairement les populations rurales d’Asie du Sud et d’Afrique subsaharienne (environ 600 millions de personnes dans ces deux régions), la situation est particulièrement critique dans cette dernière zone, qui enregistre les taux d’électrification les plus bas des régions en développement (31 %).

Cette tendance devrait se confirmer au cours des prochaines années, du fait de la croissance démographique, qui va générer en Afrique subsaharienne quelques 550 à 650 millions de personnes de plus sans électricité d’ici 2030. À ces disparités régionales s’ajoute un décrochage significatif en milieu rural, où les taux d’accès à l’électricité sont particulièrement contrastés : 98 à 99 % au Nord pour à peine 12 % en Afrique subsaharienne.

la suite après cette publicité

>>>> Dossier électricité : le paradoxe africain

Des défis de taille

L’électrification rurale décentralisée, qui porte sur des zones le plus souvent éloignées de tout réseau électrique, est un enjeu crucial pour le développement du continent. Il y a aujourd’hui urgence face aux défis de taille que pose l’électrification rurale en Afrique subsaharienne, rendue d’autant plus difficile par la dissémination de l’habitat. De plus, compte tenu du niveau de pauvreté des populations rurales africaines, la faible demande en énergie rend toute politique d’électrification coûteuse et commercialement peu rentable.

Ces projets exigent dans les pays en développement des niveaux de subvention particulièrement importants à cause du manque d’infrastructures. Les décideurs sont donc généralement réticents à se lancer dans de tels programmes, d’autant plus que les États sont souvent dans l’impossibilité financière d’assumer de telles dépenses. Enfin, aux risques financiers trop élevés et difficiles à couvrir, s’ajoutent de nombreux obstacles : l’impossibilité de recourir au crédit, l’insuffisance des cadres réglementaires, la rareté des compétences locales.

la suite après cette publicité

La difficulté des États à financer ces programmes et l’impossibilité pour le secteur privé de rentabiliser ce type de projets les réservent donc souvent à des acteurs n’ayant pas la recherche de profit comme objectif principal ou comme seule priorité.

Secteur privé & développement

la suite après cette publicité

BLOG SPD logo court FR 400X464Cet article est adapté du témoignage de Christine Heuraux et Jean-Claude Houssou, publié par Secteur Privé & développement, le blog de Proparco, filiale de l’Agence française de développement. Il est repris ici avec l’autorisation expresse de SP&D.

Retrouvez sur le site de SP&D la version complète de ce témoignage, y compris plusieurs illustrations et focus sur les réalisations des SSD en Afrique subsaharienne.

Découvrez également sur ce blog de nombreux retours d’expériences d’opérateurs du secteur privé sur leurs solutions aux problématiques auxquelles ils sont confrontés dans les pays en développement.

Les missions des SSD

Riches de leur expérience et forts de ces constats, Énergie de France (EDF) et l’Agence française de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) ont développé le concept de Sociétés de services décentralisés (SSD), des structures commerciales de droit local, à but lucratif, gérées par des responsables et des personnels locaux.

>>>> IFC et EDF s’associent pour électrifier les zones rurales

Cette initiative a ouvert le secteur de l’électrification rurale à d’autres acteurs que les seuls opérateurs nationaux, permettant un pas de plus vers l’implication du privé dans ce domaine d’activité spécifique.

Les SSD ont pour mission de vendre des services décentralisés (électricité, éclairage, gaz), le plus souvent à des ménages ruraux, sur un territoire défini qu’elles reçoivent en concession pour une durée de 15 à 25 ans renouvelables.

Elles doivent desservir au moins 10 000 clients, soit environ 60 000 à 150 000 personnes selon la taille et la structure des cellules familiales au sein des zones concernées. À cet effet, les SSD installent, exploitent, entretiennent et renouvellent les installations dédiées à la fourniture d’électricité.

Lire aussi : Énergie – l’Afrique à l’heure des centrales… décentralisées

Rentabilité et viabilité

EDF et ses partenaires interviennent comme « aide au démarrage » en apportant les capitaux et les compétences nécessaires à la création des SSD. Lorsque ces dernières ont mis à profit l’apport reçu pour leur création, elles doivent équilibrer leurs comptes, générer les bénéfices nécessaires à leur développement et rétribuer leurs actionnaires.

Une SSD est donc bien une société commerciale « classique ». Sa seule particularité réside dans l’existence d’un apport initial atténuant l’impact de l’investissement sur le coût de revient final et in fine sur le prix que devra payer le client.

Ce modèle ne relève en aucune manière de la charité, mais il repose bel et bien sur une rentabilité obligatoire à terme, même faible, pour garantir la viabilité et la durabilité de ce type de projet.

Les SSD agissent pour le compte de la puissance publique dans un cadre réglementaire clair (concession d’électrification, cahier des charges, tarification régulée, etc.) nécessitant la mise en place préalable d’un cadre institutionnel adapté. Une fois la viabilité d’une SSD établie, EDF a vocation à la vendre. Car, à l’inverse de la SSD créée, l’objectif d’EDF n’est pas lucratif. Il relève bien plus de sa politique de responsabilité sociale et environnementale. La vente de la SSD a lieu à un prix défini selon la valorisation de l’entreprise au moment de la cession, les parts étant cédées au partenaire local qui assurera la pérennité de la société sur le long terme. D’où l’importance de s’associer à un partenaire local fiable qui poursuivra l’action engagée.

Ce partenaire peut être par exemple une compagnie nationale d’électricité où une entreprise privée qui agit dans le domaine de l’énergie, comme ce fut le cas respectivement au Botswana et au Sénégal. Ce partenariat local n’empêche pas de s’adjoindre des partenaires de taille internationale comme au Maroc ou, actuellement, en Afrique du Sud avec Total.

Les facteurs clés de succès d’un programme d’électrification rurale

Ayant bénéficié à près de 460 000 personnes, l’un des premiers mérites du modèle SSD est d’avoir mis en évidence les facteurs clés de succès communs à tout projet d’électrification rurale.

En premier lieu, il est préférable d’éviter tout dogmatisme sur les choix énergétiques car le recours aux énergies renouvelables n’est pas forcément la panacée. Il faut obligatoirement prévoir une gestion de la clientèle et des modes de paiement adaptés (forfait, prépaiement, droit d’accès, etc.).

Il est également nécessaire de mettre en place des structures compétentes, formées, pérennes pour l’exploitation et la maintenance – et toujours rechercher la performance économique et le moindre coût, sans sacrifier la qualité.

Il est préférable d’éviter tout dogmatisme sur les choix énergétiques car le recours aux énergies renouvelables n’est pas forcément la panacée.

Dans tous les cas de figure, il est indispensable que le projet d’électrification rurale s’inscrive dans un cadre réglementaire et institutionnel adapté, simple, transparent, applicable et appliqué.

Le financement joue un rôle déterminant dans la réussite des projets : il doit tenir compte à la fois de la faible capacité de paiement des clients visés, et de la nécessité pour la SSD d’assurer sa viabilité et de rémunérer ses actionnaires. Les choix technologiques sont toujours essentiels, tant ils conditionnent la performance globale du système.

Tout cela, enfin, ne peut faire oublier l’importance de la composante humaine car les compétences sont un préalable indispensable à la pérennité de tout le dispositif.

Les spécificités de l’électrification rurale (techniques de production décentralisées, clientèle économiquement fragile, milieu rural faiblement éduqué, etc.) requièrent des compétences spécifiques. Aujourd’hui, les opérateurs, les responsables de projets et les bailleurs de fonds reconnaissent la nécessité d’organiser plus systématiquement une filière de formation professionnelle adaptée aux nouveaux métiers du secteur.

>>>> Christine Heuraux : « Le manque de main-d’oeuvre qualifiée est criant »

Stratégie

Les pays qui affichent les taux d’électrification les plus élevés sont ceux où l’État en a fait une priorité et s’est réellement donné les moyens de sa politique énergétique. Mais faute de ressources financières et techniques, les décideurs politiques doivent se tourner vers le secteur privé pour mettre en oeuvre et soutenir les projets d’électrification.

Dans ce contexte, le rôle des autorités publiques est de définir une stratégie et un cadre d’action, en répartissant les responsabilités au sein des partenariats public-privé. Ces partenariats prennent tout leur sens dans une approche  » par compétences » qui met le pragmatisme du terrain au service d’une vision de long terme.

>>>> 

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Contenus partenaires