Troubles à l’audience du procès Habré

Pour avoir interpellé ce mercredi en pleine audience l’ancien président de la Commission d’enquête tchadienne sur les crimes des années Habré alors qu’il déposait à la barre, un étudiant tchadien a été condamné à 5 mois de prison le jour même.

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Publié le 16 septembre 2015 Lecture : 3 minutes.

« C’est fini les affirmations, amenez vos preuves ! » Assis sur sa chaise, au troisième rang, un carnet de notes sur les genoux, le jeune homme semble d’abord parler tout haut. Puis son ton se fait plus ferme : « On s’en fout de ce que vous croyez ! »

Deux gendarmes sénégalais s’approchent et l’invitent à se taire, imaginant encore maîtriser l’incident. Mais le président Gberdao Gustave Kam ne l’entend pas ainsi : « Qu’on l’expulse ! » Le fauteur de trouble, manifestement sympathisant de Hissène Habré, est conduit hors de la salle 4 du palais de justice de Dakar. Il n’oppose aucune résistance mais continue d’interpeller bruyamment le témoin Mahamat Hassan Abakar, ancien président de la Commission nationale d’enquête tchadienne sur les crimes du régime Habré, dont l’audition, entamée lundi 14 septembre, se poursuivait ce mercredi 16 septembre au matin. « Traître ! Menteur ! »

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Le fauteur de troubles à la barre

Pour le procureur général Mbacké Fall, l’incident mérite sanction. Aussi le président de la cour d’assises africaine extraordinaire demande que le jeune homme soit attrait à la barre. Il s’appelle Mahamat Togoï et se présente comme un étudiant tchadien à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). « L’histoire du Tchad est manipulée ici. Ce monsieur est en train de mentir ! », se justifie-il quand le président Kam lui demande de s’expliquer. Puis, à l’adresse de Mahamat Hassan Abakar, il lance : « Au bout de 25 ans, il est temps d’apporter vos preuves ! »

Peu avant son intervention intempestive, l’un des avocats commis d’office pour défendre Hissène Habré s’était efforcé de fragiliser l’expertise de l’ancien magistrat tchadien devenu avocat. « Sur quoi fondez-vous l’affirmation selon laquelle les ordres d’arrestation, d’exécution ou de libération venaient directement de la présidence », avait-il interrogé ? Rappelant le lien organique entre la sinistre Direction de la documentation et de la sécurité(DDS) et l’ancien chef de l’État, Mahamat Hassan Abakar n’avait pu que répéter ce qui lui semble une évidence : « La DDS est rattachée à sa personne ». Et de citer les témoignages livrés à sa commission d’enquête par d’anciens directeurs de la police politique du régime, tendant à confirmer que rien de ce qui se passait à la DDS ne pouvait échapper à l’ancien homme fort de N’Djamena.

L’enjeu du procès : écarter la responsabilité personnelle de Hissène Habré

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Or, pour les avocats de la défense, l’un des principaux enjeux du procès consiste à écarter la responsabilité personnelle de leur client si elle n’est pas étayée par des preuves formelles. Si des crimes ont eu lieu, font-ils valoir, rien ne prouve que Habré les ait personnellement ordonnés. « Vous confirmez ici que vous n’avez pas d’élément objectif de rattachement entre ces exactions et Hissène Habré ! », lançait Me Gning au témoin quelques minutes avant qu’un pro-Habré exalté n’interrompe l’interrogatoire.

À la barre, Mahamat Togoï affiche la morgue qui sied aux partisans de l’ancien président. Au président Kam, imperturbable et serein, il fait savoir sans détour sa défiance envers cette juridiction spéciale que Hissène Habré refuse de reconnaître : « Vue la constitution de cette chambre, je ne pense pas qu’un avocat pourra me sauver. On vous a nommés pour sceller des sorts. » L’étudiant tchadien reconnaît qu’il en est à son deuxième fait d’armes, après avoir fait partie du groupe d’agitateurs qui avaient été expulsés du tribunal le jour de l’ouverture du procès, en juillet.

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Le procureur Mbacké Fall lui demande s’il a un lien de parenté avec l’accusé. La réponse de Togoï fuse, moins diplomatique que jamais : « Monsieur le président, je ne réponds pas à ce Monsieur ».  Au terme d’un bref réquisitoire, le magistrat du Parquet demandera la peine maximum – deux ans de prison. Mahamat Togoï sera finalement condamné à cinq mois de prison et placé sous mandat de dépôt. Dans les trois premiers rangs, où ils ont élu domicile, les partisans de Hissène Habré sont demeurés imperturbables.

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Hissène Habré amené de force à l’ouverture de son procès, le 20 juillet 2015 à Dakar. © Ibrahima Ndiaye/AP/SIPA

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