Nous sommes tous des Burkinabè frustrés et mobilisés

« La question qui se pose au Burkina Faso aujourd’hui n’est pas juridique. Elle est morale (…) »

Des manifestants burkinabè près du palais présidentiel, le 16 septembre 2015 à Ouagadougou. © Theo Renaut / AP / SIPA

Des manifestants burkinabè près du palais présidentiel, le 16 septembre 2015 à Ouagadougou. © Theo Renaut / AP / SIPA

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  • Gilles Olakounlé Yabi

    Économiste et analyste politique, Gilles Olakounlé Yabi est le fondateur de WATHI, think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest (www.wathi.org).

Publié le 17 septembre 2015 Lecture : 3 minutes.

« (…) L’instrument du droit tout comme les systèmes et les modèles politiques que les sociétés ont créés et ont constamment modifiés au fil des siècles correspondent à des valeurs auxquelles elles aspirent et à des principes qu’elles estiment nécessaires de s’imposer pour tendre vers leur vision de ce que serait une société idéale. Adopter des règles de limitation des mandats dans des constitutions et mobiliser ensuite toute son énergie, son temps et sa créativité juridique et politique à les contourner traduit une ignorance profonde du fondement éthique de la construction de systèmes politiques démocratiques ».

Voilà ce que nous écrivions dans un blog publié le 29 octobre 2014, à quelques heures du vote prévu à l’Assemblée nationale à Ouagadougou, pour faire passer une révision constitutionnelle qui devait permettre au président Blaise Compaoré de se présenter une énième fois à l’élection présidentielle. La mobilisation de masses urbaines burkinabè et la convergence ponctuelle d’intérêts d’un grand nombre d’acteurs politiques opposés au prolongement ad vitam eternam du pouvoir de Compaoré avaient mis fin à la tentative de coup de force constitutionnel, et provoqué la chute immédiate d’un chef d’État inamovible depuis 27 ans.

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Une décision du Conseil constitutionnel

Aujourd’hui, 17 septembre 2015, alors que les dirigeants de la transition au Burkina Faso sont pris en otage par des soldats du régiment de sécurité présidentielle (RSP), l’ancienne garde prétorienne de Compaoré, on entend ici et là des commentaires tendant à expliquer, sinon à justifier ce coup de force par l’exclusion d’un certain nombre de candidats issus de l’ancien pouvoir de l’élection présidentielle prévue le 11 octobre prochain. Cette exclusion a été avalisée par le Conseil constitutionnel burkinabè sur la base d’une législation décidée par les organes de transition eux-mêmes issus de la révolution d’octobre 2014. De nombreux acteurs régionaux et internationaux ont dénoncé la violation du principe de l’inclusion par les institutions de transition.

La démocratie ne repose pas exclusivement, ni essentiellement, sur l’application du principe de l’inclusion.

Leur point de vue n’est pas scandaleux et pouvait certes se défendre. Mais il traduit une vision minimaliste, voire simpliste, de la démocratie telle qu’on pense devoir la promouvoir dans les pays africains. La démocratie ne repose pas exclusivement, ni essentiellement, sur l’application du principe de l’inclusion. Tout comme elle ne se réduit pas à l’application bête et méchante du principe du vote populaire, en particulier dans des pays à peine sortis de décennies de parti unique ou ultra-dominateur protégé par des gardes prétoriennes surarmées. Les autorités de transition burkinabè n’ont fait que traduire dans leurs décisions le message de l’insurrection populaire d’octobre 2014, celui qui consiste à encadrer le jeu politique par des principes éthiques.

Excès de confiance et angélisme

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Des erreurs ont sans doute été commises pendant la transition, par excès de confiance, d’angélisme ou, parfois aussi, par calcul politique intéressé de certains de ses acteurs. Mais rien, absolument rien, ne saurait justifier le coup de force qui vient de se transformer en coup d’Etat militaire pur et simple. Ce n’est pas le moment d’épiloguer sur les erreurs supposées de la transition et de rechercher des circonstances atténuantes aux auteurs du coup d’Etat. Ils sont connus. Ils incarnent l’ancien régime, et ses pires dérives. Ils ne défendent que leurs intérêts.

Comme l’an dernier, tous ceux qui croient en la possibilité de construire, dans les pays africains, des systèmes démocratiques authentiques, exigeants, complexes, capables de produire à la fois de la stabilité, de la sécurité, de la liberté et du progrès économique et social, doivent se mobiliser pour faire échec à la restauration autoritaire en cours à Ouagadougou. Comme l’an dernier, l’épilogue des événements au Burkina Faso sera crucial pour toute l’Afrique de l’Ouest et au-delà. Comme l’an dernier, nous sommes tous des Burkinabè.

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