« Raciste, moi ? Jamais… »
En plein dans le mille !
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 21 septembre 2015 Lecture : 3 minutes.
En mission au Gabon, la semaine du 7 septembre, pour recueillir la grande interview d’Ali Bongo Ondimba (à lire dans notre édition 2854, en kiosques du 20 au 26 septembre), j’ai pu mesurer pleinement les effets de notre couverture consacrée à la xénophobie dans le pays (Jeune Afrique numéro 2851). Et quels effets ! Pour ne rien vous cacher, j’en ai pris pour mon grade, de toutes parts : élites comme « makayas », pouvoir comme opposition, intellectuels comme citoyens lambda. Au premier rang des reproches, pas vraiment le contenu de l’article, qui, pourtant, aurait réellement pu prêter, comme tout écrit et toute analyse, à débat. C’est la démarche elle-même qui est contestée. Il nous est reproché le simple fait d’avoir mis le doigt sur une problématique sensible : le rapport à l’autre en général et à l’« étranger » en particulier. Car, selon nombre de mes interlocuteurs, il n’y aurait aucun problème de cet ordre au Gabon. Les plus ouverts d’esprit, eux, s’interrogent sur le choix de leur pays en particulier : « Pourquoi nous ? » D’autres, enfin, n’admettent pas que la critique, fût-elle fondée, provienne de l’extérieur…
La xénophobie, comme l’ethnicisme, dont elle n’est finalement que le prolongement, n’est pas une exclusivité gabonaise. Si nous nous sommes intéressés à ce pays en particulier (après avoir déjà publié, par le passé, des enquêtes identiques, notamment sur le Maroc, l’Algérie et la Tunisie), c’était en raison d’une actualité marquante, dont l’incendie d’une ambassade étrangère. Cette enquête, que nous assumons pleinement, visait à chercher la ou les réponses à la question taboue : qu’est-ce qu’être gabonais aujourd’hui ? En lieu et place des cris d’orfraie entendus lors de mon séjour librevillois, j’aurais préféré voir le débat rebondir sur place, prolongé par d’autres « intellectuels » que les habituels snipers médiatiques, du pouvoir comme de l’opposition.
Plus largement, chacun des 54 pays de notre continent, à sa manière et avec ses particularités, pourrait – et devrait – se poser ces questions : qui sommes-nous ? D’où venons-nous et où voulons-nous aller ? Qu’est-ce qui nous rassemble ? Quelles sont nos valeurs communes ?
Trop d’Africains se sentent d’abord arabes ou berbères, peuls ou malinkés, wolofs ou halpulaars, bétés, baoulés ou dioulas
Nier l’évidence, à savoir qu’une partie de l’Afrique est rongée par ce fléau qu’est l’absence du sentiment d’appartenance à un ensemble plus vaste que le clan, la tribu, la région ou l’ethnie – un pays, une nation, un continent -, est une grave erreur. Pis, une faute. L’Histoire, comme l’actualité, regorge d’exemples qui démontrent que trop d’Africains se sentent d’abord arabes ou berbères, peuls ou malinkés, wolofs ou halpulaars, bétés, baoulés ou dioulas, mbochis ou laris, fangs, tékés ou punus, katangais ou kasaïens (pour parler des régions), plutôt que maghrébins, guinéens, sénégalais, ivoiriens, congolais, gabonais ou RD-Congolais. Les causes de cette exacerbation des particularismes sont anciennes et profondes : l’extraordinaire mosaïque ethnique, bien sûr, que rassemble le continent, l’aberrant découpage colonial, l’avènement du multipartisme qui a abouti à la création d’une myriade de formations « ethniques », l’irrépressible besoin de nombreux leaders politiques de s’arroger d’inexpugnables fiefs électoraux en s’appuyant avant tout sur les leurs – à qui ils sont contraints, ensuite, de renvoyer l’ascenseur, faisant de l’ethnicisme ou du régionalisme un véritable fonds de commerce -, la multiplication des canaux d’expression de la haine de l’autre comme les réseaux sociaux, etc.
Trouver les bons remèdes à ce poison insidieux qui empêche l’Afrique de s’affirmer, d’exprimer son potentiel, est évidemment délicat. La promulgation et l’application stricte de lois punissant tout propos raciste, xénophobe ou ethniciste, la pédagogie par un travail de fond effectué auprès des plus jeunes dès les premiers pas à l’école, une meilleure répartition des richesses, l’érection de la performance et de la compétence comme critères prioritaires de sélection, le retour du service militaire, tout ce qui peut concourir à brasser les populations, à faire en sorte qu’elles se fréquentent et apprennent à se connaître constitue des pistes à explorer. Mais pour se soigner, encore faut-il accepter le fait d’être malade…
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