France – Maroc : Hollande à Tanger, une visite thérapeutique

Le président français François Hollande a entamé samedi une visite de deux jours à Tanger, où il a été reçu par le roi du Maroc, Mohammed VI. L’occasion de tourner définitivement la page d’une brouille diplomatique de plus d’un an.

Le roi du Maroc accueillant son hôte français François Hollande, à son arrivée à l’aéroport Ibn Battouta de Tanger, samedi 19 septembre. © Alain Jocard / AP / SIPA

Le roi du Maroc accueillant son hôte français François Hollande, à son arrivée à l’aéroport Ibn Battouta de Tanger, samedi 19 septembre. © Alain Jocard / AP / SIPA

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 20 septembre 2015 Lecture : 5 minutes.

Comme une illustration céleste, les nuages sombres qui roulaient le matin de Tanger vers Gibraltar s’étaient dissipées quand, l’après-midi du 19 septembre, le roi du Maroc Mohammed VI, accompagné de son fils, le prince héritier Moulay Hassan, et de son frère cadet Moulay Rachid, est venu accueillir le président français François Hollande au bas de son Falcon 7X.

Une « visite de travail et d’amitié », indique le dossier de presse, et les communicants de l’Élysée insistent : il ne s’agit pas de recoller les morceaux ou de quelque cérémonie de réconciliation que ce soit. « J’étais venu au Maroc il y a deux ans et nous avons fait, après une période difficile, beaucoup de progrès », a déclaré le chef de l’État français à sa descente de l’avion, « l’atmosphère de nos relations est excellente, il n’y a vraiment aucune brouille et s’il y a eu un moment tendu, il est derrière nous », reviendra dans la journée son ministre des Affaires étrangère, Laurent Fabius.

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Car l’orage a grondé entre Paris et Rabat depuis la dernière visite du président français en avril 2013 et les médias qui couvrent la visite reviennent insatiablement sur deux grands épisodes des relations franco-marocaines. L’affaire du « chantage royal », dans laquelle les journalistes français Éric Laurent et Catherine Graciet auraient tenté de monnayer en août auprès du palais la non-publication d’informations compromettantes, et l’affaire Abdellatif Hammouchi, le patron de la Direction générale marocaine de la surveillance du territoire (DGST), convoqué en février 2014 par un juge d’instruction parisien après la plainte d’une ONG française pour tortures.

Garantie diplomatique

Les intentions prêtées à Laurent et Graciet n’impliquant pas l’État français, ses représentants ont évacué les questions se rapportant à ce sujet, s’en remettant aux procédures judiciaires en cours. Le véritable « moment tendu », celui du cas Hammouchi, a été réglé, disent les Français. Depuis l’incident, le Premier ministre français, Manuel Valls, est allé en avril arrondir les angles à Rabat dans la foulée de son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, venu en mars.

Garantie diplomatique, le DG de la DGST marocaine a reçu la promesse d’une légion d’honneur. Mais la remise de décoration restait source d’ambiguïté ce 19 septembre : le chef sécuritaire n’était pas inscrit dans la promotion du 14 juillet et la rumeur sérieuse a couru que la visite présidentielle en serait l’occasion. L’Elysée a démenti mais le quotidien marocain francophone Al-Bayane l’annonçait encore le matin même de la visite. Un ministre marocain confirme que l’idée n’était pas infondée, l’ayant entendu « dans les couloirs même de l’Elysée ». La diplomatie française y aurait-elle renoncé devant l’appétit des médias et la perspective d’une mobilisation militante ?

Le roi Mohammed VI et François Hollande visitent le centre d'entretien des TGV de la ligne Casablanca-Tanger, le 19 septembre 2015. © Abdeljalil Bounhar / AP / SIPA

Le roi Mohammed VI et François Hollande visitent le centre d'entretien des TGV de la ligne Casablanca-Tanger, le 19 septembre 2015. © Abdeljalil Bounhar / AP / SIPA

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Sur le tarmac de l’aéroport Ibn Battouta, la fanfare salue la rencontre entre le monarque et le président, reprenant les notes de ce qui ressemble à s’y méprendre au refrain du « Bon roi Dagobert ». Mais cette fois, le Français n’a pas mis sa cravate de travers, bien qu’un vent tenace s’applique à retourner les cols de l’importante délégation – ministres, grands patrons, présidents de régions, personnalités culturelles, religieuses et sportives — qui pose le pied en Afrique. « De mémoire diplomatique, c’est la première fois qu’un chef d’État français vient en visite ici, à Tanger », note l’attaché culturel de l’ambassade à Rabat. Mais, hormis quelques dizaines de badauds qui saluent le passage du cortège, les Tangérois ne semblent pas subjugués par l’événement.

Ce 19 septembre, c’est plutôt le mouton qui est à la fête, et qui bêle aux quatre coins de la ville en attendant le sacrifice et les braises : dans cinq jours c’est l’Aïd al-Kebir. Et, depuis que le roi s’est pris d’affection pour la cité du nord il y a quelques années, il y reçoit régulièrement ses hôtes de marques, certains y prenant leurs habitudes. Dix jours avant l’arrivée du Français, le roi Salmane d’Arabie saoudite en partait après s’y être reposé pendant un mois. Le déjeuner du dimanche entre les deux chefs d’État devait d’ailleurs se dérouler au surplomb de la villa du Saoudien, dans le cadre magique de l’hôtel Le Mirage perché sur une falaise au bord de l’Atlantique. La discussion portera-t-elle sur les tourments du monde arabe et la tentation de l’extrémisme qui menace la communauté musulmane ?

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Volonté d’agir

Ces sujets sont au menu de la rencontre, comme le développement des partenariats économiques et l’environnement, la France accueillant en décembre la 21e conférence des Nations unies sur les changements climatiques, avant le Maroc en 2016. « Nous allons lancer, Sa Majesté le roi et moi-même, un appel ici à Tanger pour que nous puissions réussir ces conférences sur le climat », a annoncé le président Hollande à la presse après s’être vu offrir par son hôte royal des dattes et du lait, conformément à la tradition hospitalière marocaine.

« Nous avons avec le Maroc la volonté d’agir en Afrique et de lutter contre le terrorisme qui reste notre grande préoccupation », a-t-il également précisé avant d’aller assister avec son hôte à la signature d’un accord sur la formation d’imams français au Maroc par le ministre des Affaires étrangères français et le ministre marocain des Habous et des Affaires islamiques. Dans la salle de conférence du palais Marshane qui accueille la signature, les journalistes, désarmés, sont perplexes : la sécurité du roi impose que tous les appareils électroniques, téléphones portables, ordinateurs et enregistreurs soient laissés à l’entrée… Mais il n’y aura pas grand-chose à enregistrer de la cérémonie silencieuse, si ce n’est l’élan spontané qui a poussé Salaheddine Mezouar l’ancien champion de basket et actuel ministre marocain des Affaires étrangères, à se lever pour embrasser avec effusion l’ancienne Garde des Sceaux Elisabeth Guigou.

Laurent Fabius souligne inlassablement devant les journalistes « l’excellence » des relations franco-marocaines.

Dans le car qui emmène le pool médias vers l’autre événement du samedi, l’inauguration d’un centre de maintenance de la future ligne à grande vitesse Tanger-Casablanca dont Alstom a livré en juin la première rame, une journaliste se demande sous quel angle elle va bien pouvoir traiter la visite. Un confrère lui rappelle le scandale Jérôme Cahuzac qui avait sous-tendu la précédente venue de François Hollande en avril 2013. Son visage s’illumine : « je vais faire du Macron ! » Au centre de maintenance, la plupart des journalistes sont tenus à l’écart mais le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, vient répondre à quelques questions, soulignant inlassablement « l’excellence » des relations franco-marocaines.

À la sortie des hangars, geste remarqué par les spectateurs marocains, le roi embrasse affectueusement son fils et quelques secondes plus tard, le jeune prince héritier se dégage prestement lorsqu’un compatriote veut lui baiser la main. Dans la Mercedes vintage qui les emmène au Palais des Hôtes royaux où François Hollande est hébergé, le jeune prince de 12 ans semble plaisanter avec le Français. Lui fait-il part de son ambition de devenir un roi normal ?

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