Maroc – France : les résultats de la visite de Hollande à Tanger vus de Rabat et Paris
La visite de François Hollande à Tanger, où il a été chaleureusement reçu samedi et dimanche par le roi Mohammed VI, marque un tournant positif dans les relations entre le Maroc et la France. Retour sur cet événement, tel qu’il a été vécu par les délégations des deux pays.
Vu de Paris…
« On qualifiait nos rapports d’excellents mais un nouveau terme est apparu pendant cette visite, celui de ‘relations intimes’ ! » se félicite Chakib Laaroussi, homme des médias du Palais royal depuis des décennies, et qui connaît son affaire. Car le roi, faisant fi des protocoles, a su séduire l’hôte français. Claudine Ripert-Landler, conseillère à la communication et à l’international de l’Élysée, résumait ainsi le dîner du 19 septembre organisé au Palais royal pour quelques 200 invités triés sur le volet : « une réception incroyable dans un endroit sublime, avec un buffet informel qui a permis au roi et au président de faire la tournée des tables, où les chefs d’entreprises allaient leurs sans gêne ni entraves dans une atmosphère très naturelle et détendue. C’est la première fois que le roi organisait une réception de la sorte, et c’est lui qui l’a voulu ».
Même écho de la part de Jean-Louis Guigou, le président du think tank méditerranéen Ipemed. « Le souverain nous a ouvert son palais en nous disant ‘je vous invite chez moi, en famille !’… J’ai une certaine expérience mais je n’avais jamais vu ça ». La fin de la soirée a particulièrement frappé les esprits, quand Mohammed VI a convaincu François Hollande qui attendait sa voiture de le raccompagner lui-même dans ses quartiers. Les deux hommes ont alors sauté dans un coupé Mercedes, le roi prenant le volant, et se sont enfuis accompagnés d’un seul conseiller royal. « C’était délicat question sécurité, raconte Hollande en privé, mais j’ai accepté bien volontiers ! Le roi m’a conduit, vitres ouvertes, sur la corniche et j’ai pu constater l’accueil très amical que la population lui faisait et combien le roi appréciait la ville de Tanger ».
À l’hôtel Le Mirage, perché sur une falaise au-dessus de l’Atlantique, le déjeuner du lendemain s’est éternisé dans l’après-midi. « Ils sont en retard, ça veut dire que la rencontre est fructueuse ! », a constaté avec satisfaction un diplomate français.
La décoration d’Abdelatif Hammouchi n’était pas à l’ordre du jour de cette visite, a expliqué le président français
Pendant les deux jours de la visite, le président et ses ministres n’auront cessé, en off ou en conférence, de marteler que « les moments difficiles sont derrière nous », et lors de sa conférence de presse finale, François Hollande a fini par répondre à LA question qui obsédait les presses française et marocaine. Si la remise de la décoration d’officier de la Légion d’honneur à Abdelatif Hammouchi – chef du renseignement marocain convoqué en février 2015 par un juge parisien pour des accusations de torture – n’a pas été remise lors de cette visite, comme beaucoup s’y attendait, le sera-t-elle un jour ?
« Les services de renseignements français et marocains entretiennent une intense coopération, pour assurer la sécurité des Marocains comme celle des Français, et au-delà. (…) C’est pourquoi M. Hammouchi avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur en 2011 et que le ministre de l’Intérieur a annoncé en février dernier qu’il serait promu officier. Il se verra remettre cette distinction au moment souhaitable et opportun en concertation avec lui. Mais ce n’était pas à l’ordre du jour de cette visite », a expliqué le président français.
L’autre affaire, celle dite « du chantage royal » par les journalistes français Éric Laurent et Catherine Graciet a été désamorcée sans difficultés. Les deux individus et leurs agissements soupçonnés n’ont rien à voir avec l’État français et François Hollande a rappelé les deux principes fondamentaux de la liberté de la presse et de l’indépendance de la justice. Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe, dit avec moins de détours la position française « Les autorités marocaines ne doutent pas un instant que nous sommes aux côtés du roi pour nous indigner de tels comportements ».
« Un avenir extrêmement fécond »
Jack Lang reconnaît également cette exception à la diplomate élyséenne : « Chose rare, Hollande a de bons rapports avec chacun des trois pays du Maghreb, Maroc, Algérie et Tunisie ». À la réception des Français du Maroc organisée au consulat, le matin du 20 septembre, le président n’est pas peu fier de faire l’éloge de ses deux ministres d’origine marocaine présentes, Najat Valaud-Belkacem, à l’Éducation nationale, et Myriam el-Khomri qui vient de se voir confier le portefeuille du Travail.
« Entre la France et le Maroc, c’est une longue histoire, ça peut être aussi un avenir extrêmement fécond », reprend le président. Les intérêts communs ne peuvent que souder cette amitié et la stabilité marocaine, exceptionnelle dans la région depuis 2011, en fait aujourd’hui l’allié privilégié de la France sur les questions sécuritaires mais aussi un débouché prometteur pour les entreprises et les investissements français, et un partenaire diplomatique indispensable lorsqu’il s’agit de gérer les expressions nationales et régionales de la crise que traverse le monde arabe.
Au-delà, le Maroc, dont la présence en Afrique subsaharienne ne cesse de se renforcer dans tous les domaines et la France, toujours puissante dans ses anciennes colonies mais qui y souffre des nouvelles concurrence, savent que leur union est une solution d’avenir sur le continent. Constatant les convergences de vues entre les deux pays, le président français a ainsi mis en avant « ce que peut être la relation franco-marocaine au service de l’Afrique ».
Vu de Rabat…
Les deux jours de « visite de travail et d’amitié » de François Hollande à Tanger ont été l’occasion pour la partie marocaine de faire passer un message précis, dont l’avenir dira s’il a été réellement compris par Paris. Ce message s’articule en quatre points complémentaires :
1) Il ne s’agissait pas d’une visite de réconciliation après la crise de 2014. La rencontre entre Hollande et Mohammed VI à l’Elysée en janvier 2015 et les visites successives de Bernard Cazeneuve et de Manuel Valls au Maroc avaient déjà scellé cette réconciliation.
2) Il ne s’agissait pas non plus d’une visite de rééquilibrage après celle de François Hollande à Alger en juin. La relation franco-marocaine est unique et elle a sa propre dynamique. La France a besoin d’une relation apaisée et prédictible avec le Maroc dans un contexte où la relation avec l’Algérie est, particulièrement en ce moment (santé du Président Bouteflika), imprévisible.
3) Le contenu de cette visite, adapté aux enjeux actuels (climat, islam, lutte anti-terrorisme, etc…) démontre à la fois le stade de maturité constructive auquel sont parvenus les rapports M6-Hollande, mais aussi le rôle de leadership africain du Royaume.
4) Il est donc nécessaire pour le Maroc, mais surtout pour la France, de maîtriser au niveau de l’exécutif les intervenants périphériques susceptibles de « polluer » cette relation bilatérale d’exception : justice, société civile, médias …
Au terme de cette visite, la partie marocaine se dit donc pleinement satisfaite de ce qu’elle perçoit comme une « montée en gamme » marocco-française et insiste sur les signes de « complicité » donnés par les deux chefs d’État. Tout en restant vigilante pour la suite …
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