Est-ce la fin du modèle économique marocain ?

Contre-performances en série, aggravation du déficit public et de la balance courante… Le Maroc risque un retour forcé au plan d’ajustement structurel façon années 1980.

Mohammed VI et Carlos Ghosn, PDG de Renault, inaugurent une usine du groupe près de Tanger. © Azzouz Boukallouch/AFP

Mohammed VI et Carlos Ghosn, PDG de Renault, inaugurent une usine du groupe près de Tanger. © Azzouz Boukallouch/AFP

Publié le 24 juillet 2012 Lecture : 5 minutes.

Avant la crise financière de 2008, le Maroc faisait figure de bon élève, avec un endettement maîtrisé, un faible déficit budgétaire et un équilibre de sa balance courante. Ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, le prix du baril plombe la balance commerciale, les recettes touristiques s’érodent, les réserves de change s’amenuisent, la dette publique augmente, les déficits courants et budgétaires se creusent… Pour achever le tableau, la baraka n’est même plus là. La mauvaise pluviométrie va entraîner cette année une baisse de 42,8 % de la production céréalière.

Le premier défi, c’est de garantir la stabilité macroéconomique en modérant les dépenses.

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Revue à la baisse, la croissance ne devrait pas dépasser les 2,4 % (au lieu des 3,4 % annoncés fin mai et des 4,2 % de la loi de finances, en mars) contre une moyenne de 5 % ces dix dernières années. Elle est essentiellement dopée par les investissements publics, les aides étrangères (Union européenne et pays du Golfe) et la consommation intérieure, avec une forte politique d’incitation au crédit… Un modèle qui a fonctionné avec un prix du baril à 40 dollars alors que ce dernier tourne, en moyenne, autour des 80 dollars depuis trois ans. 

Contexte difficile

Le pays va donc être obligé d’engager des réformes audacieuses et de se serrer la ceinture. Déjà, la Banque centrale marocaine intervient pour refinancer les établissements bancaires privés. Le royaume pourrait également emprunter auprès des bailleurs de fonds ou sur le marché international afin de faire face aux dépenses urgentes. C’est dans ce contexte particulièrement difficile que le Parti de la justice et du développement (PJD) et ses alliés ont pris les rênes du gouvernement en janvier. Arrivés au pouvoir en surfant sur les thèmes des valeurs religieuses, de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, les islamistes ont commencé à faire sauter quelques verrous en publiant la liste des agréments de transport (celles des carrières de sable et des licences de pêche pourraient suivre), autrefois cachés.

Ils ont aussi décidé d’augmenter les prix des carburants pour être en phase avec le marché international, ce que les gouvernements précédents n’avaient pas osé faire. Des mesures certes audacieuses, mais qui ne permettront pas de donner les marges financières suffisantes pour honorer les promesses de campagne (hausse des salaires, aides aux plus démunis).

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La mise en oeuvre de la régionalisation demandera également des investissements lourds. « On attend une feuille de route pour assainir les finances publiques et mettre fin aux situations de rente », explique Driss Ksikes, directeur du Centre d’études sociales, économiques et managériales (Cesem) à Rabat. Les investisseurs souhaitent que l’on améliore l’environnement des affaires en s’attaquant au système de corruption et de clientélisme pratiqué par nombre de dirigeants qui se partagent des rentes comme le foncier, l’habitat, le régime des licences et agréments divers. 

Rigueur

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Autre problème à résoudre, la question des retraites. Sous-financées pendant des décennies, elles doivent être profondément réformées. Rien n’est arrêté, mais les autorités devront probablement augmenter les cotisations, l’âge du départ, et élargir la base des personnes cotisantes.


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Jusqu’où ira ce gouvernement ? « Je ne peux pas régler les problèmes de cinquante ans en cinq mois », déclarait en mai Abdelilah Benkirane, le chef du gouvernement. À court terme, le défi est de garantir la stabilité macroéconomique en modérant les dépenses et en imposant la rigueur. Pour l’instant, les autorités ne veulent pas prononcer le mot « austérité » et ont tendance à minimiser, voire à nier, les réelles difficultés du pays. Beaucoup craignent un retour forcé au plan d’ajustement structurel (PAS) des années 1980, une période douloureuse.

À son accession au trône, en juillet 1999, Mohammed VI avait pourtant trouvé une situation assainie. Ce qui lui a permis de lancer de grands chantiers portés par de nouveaux ministres – quadras dynamiques aux têtes bien faites – dans les infrastructures, le tourisme, l’industrie, l’immobilier, les banques et les services. Une politique dépensière mais qui a donné des résultats. En dix ans, le pouvoir d’achat des Marocains a doublé. Le pays a fait une entrée de plain-pied dans le monde de la consommation, dont les grandes enseignes (McDonald’s, Carrefour, Metro) sont les vitrines. 

Nouveaux débouchés

Aujourd’hui, ce modèle, calqué sur celui de l’Espagne, s’essouffle. « Il faut réorienter la politique économique vers l’industrie, un secteur à forte valeur ajoutée qui, au Maroc, ne pèse que 15 % du PIB, contre plus de 22 % en moyenne dans les pays émergents », précise un industriel français. Il s’agit donc d’attirer de grands groupes, comme Renault à Tanger, Safran, Bombardier ou Airbus à Casa, qui créent dans leur sillage une multitude d’opportunités pour des sous-traitants. Mais pour être vraiment attrayant, il faudra que le royaume gagne en compétitivité. Le coût du travail et les charges sociales sont élevés pour un pays émergent, l’acquisition de foncier est compliquée et onéreuse.

Pour trouver un nouveau souffle, nombreux sont ceux qui appellent aussi à accélérer la réforme agricole, avec la mise en place de pôles agro-industriels, et à poursuivre les politiques de diversification des partenariats économiques vers l’Afrique subsaharienne et les pays du Golfe. La crise européenne doit être l’occasion de chercher de nouveaux débouchés. En une décennie, les échanges avec le Vieux Continent ont baissé de dix points.

« On doit tenir aux Marocains un discours de vérité, recommande Ahmed Lahlimi Alami, le haut-commissaire au Plan (HCP). Les réformes seront difficiles à faire passer et nécessitent un consensus national de tous les acteurs (politiques, syndicats, société civile). » Les autorités n’ont pas d’autre choix que de réussir. Depuis deux ans, les grèves sont quasi-hebdomadaires et la jeunesse se cherche un avenir. La moitié des 15-30 ans, qui représentent 30 % de la population et 44 % de celle en âge de travailler, n’a ni emploi ni cursus scolaire en cours. Une vraie bombe à retardement sociale.

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