La zone euro découvre l’ajustement structurel
Kako Nubukpo est agrégé des Facultés de sciences économiques et directeur exécutif du Caderdt à Lomé, au Togo.
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Kako Nubukpo
Économiste, commissaire chargé de l’agriculture, des ressources en eau et de l’environnement à l’Uemoa
Publié le 31 juillet 2012 Lecture : 3 minutes.
Les dernières évolutions au sein de la zone euro (adoption en cours d’un pacte budgétaire, cure d’austérité en Grèce, risque d’insoutenabilité de la dette en Italie, risque de faillite bancaire en Espagne, etc.) font craindre l’imminence d’un plan d’ajustement structurel (PAS) pour l’ensemble de la zone euro, à l’instar de ceux mis en place pour les États africains au début des années 1980.
Lorsqu’on fait le bilan des PAS en Afrique, trente ans après leur adoption, on ne peut que s’inquiéter de ce qui attend l’Europe dans les mois et années à venir, sous la triple férule du Fonds monétaire international (FMI), de la Commission de Bruxelles et de la Banque centrale européenne (BCE).
Lorsqu’on fait le bilan des PAS en Afrique, on ne peut que s’inquiéter de ce qui attend l’Europe dans les mois et années à venir.
Rappelons tout d’abord que ces PAS illustrent sur le plan idéologique ce qu’il est désormais convenu de nommer « le consensus de Washington », ou encore « la désinflation compétitive ». Quatre éléments permettent de caractériser les mesures des PAS :
– Une politique monétaire ayant comme seul objectif la lutte contre l’inflation et ne tenant aucun compte des préoccupations de croissance économique ;
– Une politique budgétaire dite « budgétariste », avec comme objectif unique l’assainissement des finances publiques ;
– Une politique de réduction des coûts de production, en particulier le coût du travail, donc pour l’essentiel le salaire ;
– Un ensemble de réformes dites « structurelles », au premier rang desquelles il convient de mentionner la libéralisation du marché du travail.
L’absence de classe moyenne dans les pays subsahariens rendant difficile l’action collective a facilité la thérapie de choc dans la mise en œuvre des PAS en Afrique (blocage des salaires, licenciement massif des fonctionnaires, réduction drastique des dépenses d’éducation et de santé, privatisation des services publics).
Le résultat aujourd’hui se passe de commentaires : des sociétés africaines exsangues et proches de l’anémie, des économies faiblement productives et transformatrices de matières premières, avec une insertion dépendante au sein du commerce international, un chômage de masse dont le pendant est une vague sans précédent de migration de populations jeunes cherchant au loin une vie meilleure.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on peut déjà anticiper ce qui va arriver en Europe dans les mois et années à venir : la poursuite de politiques économiques déflationnistes, la fin programmée des services publics, la déstructuration du tissu social et, plus généralement, la fin du modèle social européen. La question est la suivante : pourquoi les dirigeants européens démocratiquement élus et des sociétés disposant d’une classe moyenne éduquée, acceptent de se lier les mains via des politiques néolibérales qui ont conduit au désastre social africain et aux errements de la finance mondialisée ?
Les réponses sont nombreuses et non mutuellement exclusives
Il y a tout d’abord le déssaisissement du politique dès le début des années 1980 sous les coups de boutoir du monétarisme triomphant, illustrés par la célèbre formule « There is no alternative ». Il y a ensuite l’acceptation par les gouvernements européens du néomercantilisme des pays émergents adeptes du dumping monétaire et peu regardants sur les conditions sociales et environnementales de la production, créant de fait les conditions d’un déficit structurel des balances commerciales européennes. Il y a enfin l’aveuglement des dirigeants européens relatif à la nature du désespoir des populations du « Sud », aveuglement entretenu par la sous-estimation du caractère universel de l’aspiration des populations à la liberté, ainsi que l’a montré le « printemps arabe ».
L’Europe doit méditer le fait que l’ajustement structurel n’est qu’une pratique gestionnaire. Il ne saurait se substituer à l’impératif de construction d’un projet de société. Le processus de culpabilisation des populations les plus modestes, souvent immigrées, qui seraient à la base de la persistance et/ou de l’aggravation des déficits publics est un exercice dangereux. Il pourrait demain se traduire par l’arrivée au pouvoir de partis extrémistes. On pense inévitablement à la situation de l’entre-deux-guerres…
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