Procès Habré – Me Bourdon : « L’audition de Bandoum Bandjim est incroyablement crédible »
C’est un témoin très attendu qui a comparu mardi et mercredi devant la cour d’assises africaine extraordinaire chargée de juger, à Dakar, l’ancien président Hissène Habré. Bandoum Bandjim, 63 ans, est un ancien gendarme tchadien qui a eu le sinistre privilège d’officier de 1983 à 1989 à la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), la police politique du régime Habré.
Ancien chef de service, Bandoum Bandjim n’a jamais eu de contact direct avec l’ancien président Habré. Mais il confirme que celui-ci recevait quotidiennement le directeur de la DDS, qui lui rendait compte des exactions multiples commises par son service, Hissène Habré lui adressant en retour ses instructions. Membre du collectif des avocats qui représente au procès 4 500 victimes du régime Habré, l’avocat parisien William Bourdon, dont l’interrogatoire du témoin, ce mercredi 23 septembre au matin, se détachait du lot, revient pour Jeune Afrique sur cette audition emblématique.
Jeune Afrique : Vous avez commencé votre intervention en rappelant à la cour l’importance de Bandoum Bandjim, que vous avez présenté comme « le seul témoin » qui témoigne « depuis l’intérieur du système ». Quel bilant tirez-vous de son audition ?
William Bourdon : Je la trouve incroyablement crédible. D’abord parce qu’il ne cherche jamais à en rajouter : quand il ne sait pas, il ne sait pas, quitte parfois à nous frustrer. Il est extrêmement précis, il documente ses propos, il illustre à chaque fois ses réponses par des exemples. Un travail de pilonnage est en cours [du côté des avocats de la défense] pour tenter de dynamiter sa crédibilité – mais cela va échouer. Il y a une formidable force de conviction chez cet homme, animé depuis tant d’années par la volonté de soulager sa conscience, quitte à prendre des risques. Il a confirmé ce matin qu’il avait reçu des menaces, des appels anonymes, qu’on avait tiré sur son ex-femme au Tchad… Qu’a-t-il à gagner d’autre que la manifestation de la vérité ? Dans sa réponse à ma dernière question, il a demandé pardon aux victimes pour ce qu’il avait fait.
Plusieurs anciens directeurs de la DDS ont reconnu par le passé qu’ils rendaient compte quotidiennement au président de l’époque des exactions commises contre les prisonniers politiques ou les populations civiles. Qu’inspire aux parties civiles l’obstruction des autorités tchadiennes à les laisser comparaître à Dakar ?
Un regret, qui dépasse les seules parties civiles. C’est évidemment une pièce manquante dans le puzzle. Je ne me livrerai pas à des supputations sur d’éventuelles arrière-pensées politiques liées à cette obstruction, qui était en partie prévisible. L’important est que cela n’affectera ni la crédibilité, ni la légitimité de ce procès. Au-delà de ces hommes, qui ont été condamnés à N’Djamena, il y a une qualité et une quantité considérable de preuves qui me laisse confiant sur l’issue du procès.
Les exactions commises au Tchad entre 1982 et 1990 ne semblent pas donner lieu à contestation. Mais concernant la responsabilité pénale de Hissène Habré, quels sont les éléments les plus significatifs censés l’établir ?
Plus les crimes dont il est soupçonné sont graves, plus un accusé campe dans une logique de déni. Et celle-ci s’appuie toujours sur les difficultés de l’enquête et sur le fait que les bourreaux n’ont pas l’habitude de laisser un bristol aux personnes qu’ils torturent. Il y a peu d’exemples où des archives politiques ou administratives constitueraient une mémoire écrite de cette logique permettant de bâtir une responsabilité pénale directe ou une responsabilité hiérarchique.
Toutefois, le fait qu’un chef d’État ne mette pas la main à la pâte directement, ne torture pas personnellement, n’en fait pas moins le plus haut des responsables. Il est le responsable intellectuel, le chef d’orchestre, la cheville ouvrière qui a mis en place l’appareil de répression. Il appartiendra à la cour d’établir les périmètres factuels et juridiques permettant de déterminer cette responsabilité pénale. Mais je n’ai aucun doute sur le fait que la responsabilité de Hissène Habré sera établie. Il y a dans ce dossier des témoins exceptionnels, comme Bandoum Bandjim, un travail d’enquête remarquable, des victimes nombreuses et les archives de la DDS. Dans l’histoire de la justice pénale internationale, c’est la première fois qu’on dispose d’une mémoire aussi exhaustive de la machine de terreur.
Une question récurrente a été posée au témoin aussi bien par le Parquet général que par les avocats des parties civiles : a-t-il été lui-même un tortionnaire, comme l’affirment le rapport de la Commission d’enquête tchadienne ainsi que certaines victimes ?
Je comprends qu’on lui ait posé cette question. Mais qu’il ait torturé ou pas, qu’est-ce que ça change à la responsabilité pénale de Hissène Habré ? Strictement rien ! Par ailleurs cet homme est dans une situation d’inconfort absolu : il a le droit, comme tous les citoyens, de ne pas s’auto-incriminer. Ce qui importe, c’est que rien n’établisse qu’il y ait eu, en amont de sa déposition, un quelconque marchandage. Cet homme est infiniment courageux. Il a répété à la barre que s’il devait comparaître un jour devant la justice tchadienne [le Tchad a émis un mandat d’arrêt contre lui], sous réserve que le droit à un procès équitable soit garanti, il était prêt à rendre des comptes.
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