Tiémoko Meyliet Koné : « Le retour de la croissance ivoirienne va doper la zone UEMOA »

Crise malienne, réforme des institutions financières, parité fixe entre le franc CFA et l’euro… Un an après sa nomination dans un contexte tourmenté, Tiémoko Meyliet Konéle, gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, dresse un premier bilan et précise ses objectifs.

Tiemoko Meyliet Koné est à la tête de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest depuis un an. © Vincent Fournier/JA

Tiemoko Meyliet Koné est à la tête de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest depuis un an. © Vincent Fournier/JA

JAD20220711-Tribune-RDC-Gécamines-StéphaneBallong Stéphane Ballong
© Vincent Fournier pour JA

Publié le 30 juillet 2012 Lecture : 7 minutes.

Début 2011, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), institution émettrice des huit pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), a été ébranlée par la crise postélectorale en Côte d’Ivoire. Acculé financièrement, l’ancien chef de l’État ivoirien, refusant d’accepter sa défaite à la présidentielle d’octobre-novembre 2010, avait tenté de prendre le contrôle des coffres des structures locales de la Banque. Entre 60 milliards et 70 milliards de F CFA (entre 91,5 millions et 106,5 millions d’euros) auraient ainsi été décaissés, selon les estimations avancées à cette époque. La crédibilité de la BCEAO, alors dirigée par Philippe-Henri Dacoury-Tabley – considéré comme un proche de Laurent Gbagbo -, en a sérieusement pâti.

Cliquez sur l'image.Nommé à sa tête le 30 mai 2011, Tiémoko Meyliet Koné, 62 ans, a pour mission de restaurer l’image de l’institution, qui fête cette année ses 50 ans. Directeur de cabinet de l’ancien Premier ministre Guillaume Soro de 2007 à 2010, cet Ivoirien, proche de l’actuel président Alassane Dramane Ouattara, avait déjà passé plus de trente ans au sein de la BCEAO. Avant de la quitter en 2006, il y occupait le poste de conseiller spécial du gouverneur et membre du gouvernement de la Banque. Pour la première fois depuis son arrivée à la tête de l’institution, il a accepté de répondre aux questions de Jeune Afrique.

la suite après cette publicité

Jeune Afrique : Vous avez pris vos fonctions à la BCEAO juste après la crise postélectorale ivoirienne. Dans quel état avez-vous trouvé l’institution ?

Tiémoko Meyliet Koné : L’atmosphère était particulièrement délétère. La réquisition des structures de la Banque en Côte d’Ivoire et les opérations qui ont été réalisées malgré l’interdiction du Conseil des ministres de la zone ont causé des préjudices matériels, financiers et moraux à l’institution et à son personnel. Les chefs d’État de l’UEMOA ont commandé un audit indépendant à un cabinet international pour évaluer l’ampleur des dégâts. Le rapport de cet audit leur a été remis. Ils l’examinent actuellement et nous attendons leurs conclusions.

Avez-vous sanctionné ceux qui n’ont pas respecté les directives ?

En attendant les conclusions du rapport d’audit, la BCEAO a pris un certain nombre de mesures. Tous ceux qui ont enfreint ses règles ont été sanctionnés dans le cadre de procédures administratives régulières : licenciements, rétrogradations et mises à pied. Par ailleurs, une plainte contre X a été déposée auprès des tribunaux ivoiriens pour tous les préjudices subis par la Banque dans cette crise.

la suite après cette publicité

Qu’avez-vous fait pour remettre l’institution sur les rails ?

Nous avons d’abord amélioré l’atmosphère au sein des équipes, puis réorganisé les services de la Banque. Enfin, nous nous sommes attelés à mieux spécifier les responsabilités de chacun, afin d’orienter l’institution vers une culture du résultat. Une feuille de route précisant les priorités et les objectifs a été fixée pour chacune des directions, dans le cadre du plan d’entreprise 2011-2015.

la suite après cette publicité

À mon arrivée, l’atmosphère était particulièrement délétère.

Quelles sont vos priorités ?

Précisons d’abord le contexte économique de la zone. Tous les pays ont atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE [pays pauvres très endettés, NDLR] et envisagent d’importants investissements, notamment dans les infrastructures, en vue d’atteindre des taux de croissance permettant de réduire significativement la pauvreté. Depuis la réforme institutionnelle de 2010, la BCEAO a supprimé les avances directes aux Trésors publics. De fait, le lieu privilégié de mobilisation des ressources par les États reste aujourd’hui le marché. Il nous paraît donc prioritaire d’aider les États à renforcer leur capacité à accéder à ces ressources. Les autres priorités concernent d’une part le renforcement de la situation financière des établissements de crédit, d’autre part un accès plus large des populations aux services bancaires et financiers.

Comment allez-vous procéder concrètement ?

Pour les actions spécifiques de la BCEAO, il y a d’abord la création d’une agence régionale d’appui à la mobilisation des ressources publiques, qui va aider les États à lever des financements, individuellement ou collectivement, sur les marchés. Cette agence aura aussi pour mission d’aider les États à gérer la dette souveraine. Il y a ensuite la mise en place d’un fonds de stabilité financière destiné à suppléer les États qui seraient en défaut de paiement du fait de chocs divers. Il s’agit là d’une garantie de plus aux investisseurs pour le dénouement de leurs créances.

Cliquez sur l'image.N’est-ce pas là un voeu pieu, quand on sait que la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM, à Abidjan), peu dynamique, peine à attirer les investisseurs ?

Il faut préciser que, sur le marché de la dette publique, les mobilisations sont en nette progression. Elles sont passées de 893 milliards à 2 600 milliards de F CFA entre 2008 et 2011. En ce qui concerne le marché financier, des actions sont envisagées pour accroître son attractivité, son efficacité, et permettre une mobilisation plus importante de financements. Il s’agira d’inciter à l’inscription d’un plus grand nombre d’entreprises à la cote et de réduire les coûts des opérations sur ce marché. Autre projet : la BRVM ambitionne de créer un marché destiné aux PME-PMI, qui sont des acteurs notoirement sous-financés.

Une réforme bancaire visant à renforcer la structure financière des banques est en cours depuis quelques années. Où en êtes-vous ?

La première phase de cette réforme qui porte le capital social minimum des banques à 5 milliards de F CFA s’est achevée fin 2011. La grande majorité des banques respecte ces conditions. Une trentaine d’entre elles éprouvaient quelques difficultés à cet égard, mais elles ont finalement présenté des plans de recapitalisation que nous avons jugés crédibles et qui sont en cours de mise en oeuvre. Nous sommes en train de préparer un rapport pour enclencher la deuxième étape de cette réforme, qui vise à porter le capital minimum des établissements bancaires à 10 milliards de F CFA.

N’est-ce pas trop faible au regard des attentes en matière de volume de financement ?

L’approche doit être progressive. Ne prenons pas le risque de faire disparaître un certain nombre de structures de taille moyenne et de contribuer à la constitution d’oligopoles qui fausseraient le jeu de la libre concurrence. C’est le client, au final, qui en paierait le prix. Dans sa configuration, le secteur bancaire et financier doit répondre aux différentes attentes des particuliers, des petites entreprises et des grosses structures. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous favorisons l’émergence des institutions de microfinance, qui répondent aux besoins de populations auxquelles les banques traditionnelles ne s’adressent pas.

Les groupes internationaux manifestent un intérêt croissant pour la zone. Les banques locales sont-elles menacées ?

L’intérêt des banques étrangères pour la zone nous apporte de la crédibilité. Cela veut dire qu’elles y voient un environnement propice au développement de leurs activités. Cela doit aussi inciter nos établissements à se professionnaliser davantage et à améliorer continuellement la qualité de leurs services.

Les taux de bancarisation dans la zone restent encore très faibles. Comment comptez-vous développer l’accès aux services financiers ?

La bancarisation dans la zone tourne autour de 15 %. Ce taux est en effet bas comparé à certains pays comme le Maroc [60 %]. L’action de la BCEAO se focalise notamment sur la sensibilisation des populations et des banques. Ces dernières devraient veiller à réduire les coûts des services financiers, qui sont souvent dissuasifs. Tout cela doit bien sûr faire l’objet d’un dialogue entre les banques et leur clientèle. Nous devons aussi empêcher les dérives éventuelles. Au Sénégal, un Observatoire de la qualité des services financiers relève et signale les abus et les irrégularités. Nous allons encourager ce genre d’initiative dans tous les pays de l’UEMOA.

Le secteur bancaire doit répondre aux attentes des particuliers et des PME comme à celles des grosses structures.

Le débat sur la parité fixe euro-franc CFA refait surface avec la crise qui secoue les pays européens. Le moment n’est-il pas venu d’introduire une certaine dose de flexibilité ?

Les fondamentaux des économies de l’Union demeurent toujours bien orientés. À l’exception de la Guinée-Bissau et du Mali – pour des raisons connues -, tous nos pays sont en phase de croissance. Les réserves de change sont de 7 500 milliards de F CFA, ce qui correspond à environ huit mois d’importations. Au cours des trois dernières années, à la faveur d’une inflation relativement bien maîtrisée, les pays ont gagné à peu près deux points de marge de compétitivité. Le taux de couverture de l’émission monétaire est constamment supérieur à 100 %… Autant d’éléments qui ne remettent pas en question la politique actuelle de parité fixe.

Après le conflit postélectoral ivoirien, la région subit de plein fouet la crise malienne. Quel est son impact sur l’UEMOA ?

La prévision de croissance 2012 de la zone a été ramenée de 6,1 % à 5,6 % pour tenir compte d’un certain nombre de facteurs, dont les crises malienne et bissau-guinéenne. Mais, les structures économiques n’étant pas détruites, les activités pourraient repartir rapidement au Mali si une solution venait à être trouvée à la crise politico-militaire. En Guinée-Bissau, l’économie commence déjà à repartir. Par ailleurs, le retour de la croissance en Côte d’Ivoire, qui pourrait dépasser les 8 % prévus, serait de nature à impulser un dynamisme plus fort à la sous-région.

Bientôt une bourse agricole régionale ?

À l’instar de l’Ethiopia Commodity Exchange, l’idée de la création d’une Bourse agricole régionale fait son chemin dans les huit États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Elle a même été au centre des discussions de la réunion des bailleurs de fonds du Programme économique régional qui s’est tenue le 2 juillet à Abidjan. De fait, la Commission de l’UEMOA a inscrit des actions régionales en matière de gestion de l’information sur les disponibilités des stocks de produits agricoles. Les réflexions portent aussi sur la mise en place de structures devant réguler le marché : acheter quand l’offre est importante et vendre quand elle est restreinte. S.B.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Contenus partenaires