De Ouaga à New York
En Afrique, la semaine s’est achevée dans l’euphorie et l’autocongratulation. Elle avait été dominée par la crise politico-militaire qui a secoué le Burkina plusieurs jours durant, et manqué de balayer ses institutions provisoires, obligeant la Cedeao à intervenir. Mais elle s’est bien terminée, fort heureusement.
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 1 octobre 2015 Lecture : 4 minutes.
Une autre semaine va s’ouvrir, qui sera, à partir du lundi 28 septembre, celle de la célébration, à New York, du soixante-dixième anniversaire de l’Organisation des Nations unies (ONU).
De nature et de signification différentes, d’inégale importance, ces deux événements qui se suivent retiennent l’attention, appellent analyse et commentaire.
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I- Le Burkina dans la spirale du changement
À l’issue de la période de stabilité qu’a été le trop long règne de Blaise Compaoré (vingt-sept ans), le Burkina est entré, le 31 octobre 2014, il y a onze mois, dans une ère de changements.
Elle sera longue et mouvementée.
La crise dont il émerge n’est donc pas la dernière, car ce pays est à la recherche d’un nouvel équilibre et il ne faut pas s’attendre à ce qu’il le trouve avant plusieurs années.
Il est dans la même situation que la Tunisie et l’Égypte, qui sont entrées – il y a déjà cinq ans, au terme d’une trop longue période de stabilité – dans une « spirale de changements ».
L’un après l’autre – imitant les Indonésiens qui déposèrent le général président Suharto après un règne de trente ans -, les peuples de ces trois pays ont réussi un changement brutal de régime, suscité par la rue.
À tort, ils l’ont baptisé du terme valorisant de « révolution ».
Ce n’en est pas une à mon avis, car, dans chacun de ces quatre pays, on n’a écarté que le chef du régime et une petite poignée de ses proches. En outre, on a changé le mode d’accession au pouvoir, ce qui n’est pas rien : les urnes et le multipartisme ont remplacé le parti unique ou dominant et « l’élection » avec 99 % des voix ; l’alternance a cessé d’être impossible.
Mais le reste du système « renversé » est, dans l’ensemble, demeuré en place, raison pour laquelle il me semble abusif de parler de « révolution ».
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Il y a eu révolution en Russie (1917), en Chine (1949), à Cuba (1959), en Iran (1979). Mais, en Indonésie, en Égypte, en Tunisie et au Burkina, il n’y a rien eu d’autre qu’une « fièvre révolutionnaire » et un changement forcé de régime.
Cette fièvre révolutionnaire ressemble à celle qui s’empare du corps lorsque sa température s’élève brusquement sous l’effet d’un dérèglement de l’organisme ou d’un virus : on s’agite, on transpire, et l’on en arrive même à délirer.
La convalescence est souvent longue et agitée, avec des bouffées de chaleur et des rechutes : il arrive alors que les peuples aspirent à un retour à la dictature et que celle-ci revienne… sous une autre forme, pour un temps. Comme en Égypte avec Sissi.
L’étape finale, celle de la guérison et du retour à la normale, se fait souvent désirer. Les Indonésiens l’ont attendue quinze ans.
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Pour l’heure, au Burkina, la tentative de retour en arrière ou de mise au pas a échoué. Son auteur, le général Gilbert Diendéré, l’a reconnu et a battu sa coulpe. Michel Kafando, le président de la transition, a donc repris ses fonctions et en a glorifié les forces vives de son peuple.
On efface, on réclame le « non-lieu » et on promet de ne pas recommencer.
Mais il serait irréaliste de penser que le Burkina retrouvera ses équilibres lorsqu’il aura élu, dans quelques semaines ou quelques mois, le président de sa nouvelle République.
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II- L’ONU ? Il faut la faire évoluer.
L’ONU est-elle, comme la qualifia un jour Charles de Gaulle, un « machin », une énorme bureaucratie coûteuse et inefficace, qui n’a su éviter aucun des génocides commis sous les yeux de ses représentants ?
Ou bien est-elle « la plus grande innovation politique du XXe siècle, qui incarne le seul espoir de survie de notre planète », comme le soutient le Pr Jeffrey D. Sachs ?
Nous allons entendre beaucoup parler d’elle dans les jours qui viennent, car elle réunit à son siège new-yorkais les représentants de ses 193 pays membres pour célébrer son soixante-dixième anniversaire.
Son secrétaire général actuel, le Sud-Coréen Ban Ki-moon, est le huitième de la lignée de ceux – tous des hommes – qui se sont succédé à la tête de son secrétariat depuis sa création pour, généralement, deux mandats de quatre ans.
Le secrétariat général compte 40 000 fonctionnaires et dispose d’un budget annuel de 5,5 milliards de dollars ; l’ONU a dans son orbite quinze agences spécialisées et gère douze fonds.
C’est l’organisation universelle par excellence ; comme personne ne demande sa suppression, elle vivra encore longtemps. Mais elle doit beaucoup évoluer. Et le plus vite sera le mieux.
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L’ONU, ses agences et ses fonds nous coûtent 45 milliards de dollars par an, soit 6 dollars par personne.
Est-ce beaucoup ou trop peu ? Le budget militaire annuel des États-Unis est de l’ordre de 600 milliards de dollars, soit quinze fois plus !
Le monde occidental, qui compte trois membres permanents sur cinq au sein du Conseil de sécurité (États-Unis, Royaume-Uni, France), est surreprésenté. L’Asie, 4 milliards d’habitants, n’en a qu’un, et l’Afrique, aucun : 5 milliards d’humains sur 7 sont donc sous-représentés.
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« Il faut accroître le financement de l’ONU, dit le professeur Sachs. Les pays à revenu élevé devront y contribuer au moins chaque année à hauteur de 40 dollars par habitant, les pays à revenu intermédiaire à hauteur de 8 dollars, les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure pour environ 2 dollars et les pays à revenu faible à hauteur de 1 dollar.
L’ONU bénéficierait chaque année de 75 milliards de dollars grâce auxquels elle pourrait renforcer la qualité et la portée de ses programmes essentiels. »
Le dernier mandat de Ban Ki-moon s’achève avec l’année 2016 : il faudra donc lui trouver un bon successeur.
Si, dès l’année prochaine, la désignation du secrétaire général de l’ONU pouvait se faire, non à l’issue de tractations secrètes entre les « cinq grands » mais par un vote transparent des 193 pays membres, on aura fait un pas de géant.
Et si l’on trouvait la femme idoine pour donner à la fonction sa pleine universalité, on entrerait de plain-pied dans le XXIe siècle.
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