Stop ! Posons les bonnes questions

Dans de nombreux pays africains, un adage bien connu des populations dit que « rien n’arrive pour rien ». On s’attendrait par conséquent à ce qu’au quotidien, toutes les couches de ces populations intègrent bien le lien de causalité qui existe le plus souvent entre les nombreux dysfonctionnements qui minent les sociétés africaines et leurs conséquences. L’expérience sur le terrain est relativement surprenante.

Un point d’interrogation dans le ciel de Montréal. © Nicolas Marchildon / Flickr

Un point d’interrogation dans le ciel de Montréal. © Nicolas Marchildon / Flickr

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  • Harding Djakou Chati

    Ingénieur, entrepreneur et africanophile. Il est passionné par le rôle des médias dans le développement des pays africains.

Publié le 30 septembre 2015 Lecture : 5 minutes.

Lors d’un récent voyage vers un pays d’Afrique centrale, je m’assis à côté d’une dame d’un certain âge (probablement passé la cinquantaine) particulièrement en colère contre le chef de son quartier. Lorsque je lui demandai les raisons de cette grosse colère, elle ne se fit pas prier pour me raconter qu’elle habitait la capitale économique du pays en question et était l’amie d’un homme d’affaires (par ailleurs issu du même quartier qu’elle) qui venait de décéder. Celui-ci, sentant une très grande fatigue depuis plusieurs jours, s’était rendu chez son frère qui lui-même était médecin. Ce frère médecin, ayant constaté que son patient de frère souffrait en fait d’une insuffisance rénale grave, entreprit de le conduire lui-même à l’hôpital public le plus huppé de la ville.

Une fois dans cet hôpital, le médecin en service leur dit que le dernier appareil d’hémodialyse encore en service avait rendu l’âme quelques jours plus tôt. Le technicien habilité à arranger ce type d’appareil n’arriverait que le lendemain. Le médecin en service proposa à son ami de se reposer dans une chambre de l’hôpital en attendant le lendemain. Cependant, durant la nuit, celui-ci décéda.

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Un peu perdu par le récit de la dame, je lui demandai ce que le décès de son ami avait à voir avec le chef de son quartier. Elle me répondit que ce dernier était en froid depuis un certain temps avec le chef du quartier et qu’elle était certaine que c’était celui-ci qui l’avait tué de manière « mystique ». D’ailleurs, elle ne serait pas la seule à penser ainsi.

Prendre les mesures adéquates afin que ce type de dysfonctionnement ne se reproduise plus dans le futur

Malgré sa grande colère, je lui suggérai tout de même que son ami était peut-être décédé du fait qu’il n’avait pas subi sa dialyse à temps à cause des appareils défectueux. Par conséquent, la question logique était peut-être de comprendre pourquoi les autorités administratives du « meilleur » hôpital public de cette ville n’avaient pas pris les dispositions nécessaires en amont afin que leur établissement soit équipé de suffisamment d’appareils d’hémodialyse ou que les appareils disponibles soient toujours en état de fonctionnement. Ensuite, il faudrait peut-être prendre les mesures adéquates afin que ce type de dysfonctionnement ne se reproduise plus dans le futur et que d’autres malades ne décèdent pas à cause des mêmes manquements.

À la fin de mon explication, elle répondit, hochant la tête avec scepticisme, que du fait de mon jeune âge (la trentaine bien consommée quand même !), j’étais bien naïf.

Autre lieu, autre pays africain. Au cours d’une discussion avec un ami, ce dernier me rapporta qu’une personnalité du gouvernement bien connue de son pays avait récemment fait un accident grave de la circulation. Elle (la personnalité) se déplaçait sur la route la plus fréquentée du pays et l’accident s’était produit au moment où son chauffeur, roulant pourtant à vitesse normale, fit une manœuvre brusque pour éviter un des nombreux trous sur la chaussée dégradée. La voiture avait fini sa trajectoire dans la brousse. Transportée à l’hôpital principal de la plus grande ville du pays, la personnalité en question reçut les premiers soins en attendant d’être « évacuée » vers un pays européen afin de poursuivre son traitement. Malheureusement, l’accidenté rendit l’âme avant l’arrivée de l’avion médicalisé venant de l’Europe le récupérer. La personnalité étant très connue, tout le pays épiloguait sur les concurrents et autres personnes de son entourage qui auraient eu intérêt à l’éliminer par des moyens « inavouables ».

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Je fis alors remarquer à cet ami que plutôt que de débattre sur l’entourage et les concurrents de cette personnalité, les vraies interrogations étaient peut-être :

1) les nombreux trous présents sur cette chaussée. En effet, ne vaudrait-il pas mieux s’interroger sur le fait que les autorités compétentes n’organisaient pas efficacement l’entretien d’une route aussi fréquentée et réfléchir à comment amener ces mêmes autorités à faire réparer plus rapidement ce type de route afin que le même type d’accident ne se reproduise plus ?

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2) le fait que de nombreux gouvernements réservent chaque année de l’argent pour évacuer certaines personnalités avec le risque que les avions médicalisés venant souvent de l’extérieur du pays arrivent « trop tard » ; pourtant en investissant cet argent année après année dans du matériel de pointe et du personnel qualifié, on pourrait peut-être prodiguer à ces mêmes personnalités (et heureusement ou « malheureusement » au reste de la population aussi, c’est selon) des soins de qualité localement, rapidement et éviter ainsi parfois le pire.

Il me répondit qu’il n’était tout de même pas possible que toute la ville se trompe sur les inimitiés de l’accidenté et que toute façon « rien n’arrive pour rien » dans le pays.

Ce phénomène (à savoir ne pas « poser les bonnes questions ») qui pourrait s’apparenter pour certains à une forme de mauvaise foi ou à une paresse intellectuelle est en fait le reflet d’un mal profond bien ancré dans les sociétés africaines. Ce mal puise ses origines en partie des traditions ancestrales où les croyances au surnaturel et à une certaine irrationalité dans les événements qui arrivent ont des places de choix ; la question ici n’étant pas de dire si cela est bien ou pas.

Les populations elles-mêmes ne posent très souvent pas les bonnes questions sur certains dysfonctionnements visibles qui minent leurs sociétés au quotidien »

Cela dit, quelles leçons peut-on néanmoins tirer des histoires mentionnées plus haut?

1) Certains problèmes (centres hospitaliers mal équipés, chaussée mal ou pas entretenue, etc.) bien concrets dans les sociétés africaines ne sont pas résolus, pas uniquement à cause des vices et autres nombreux manquements (corruption, mauvaise gouvernance, etc.) des gouvernants ou responsable publics pour qui l’implémentation de l’intérêt général ou alors l’émergence des aspirations des populations n’est pas souvent le souci premier.
2) Les populations elles-mêmes ne posent très souvent pas les bonnes questions ou ne débattent tout simplement pas sur certains dysfonctionnements visibles (ceci n’étant naturellement pas une excuse pour les gouvernants africains) qui minent leurs sociétés au quotidien ; même lorsqu’elles sont confrontées aux conséquences de ces dysfonctionnements. Et ainsi, elles ne demandent pas des comptes et surtout des réponses à ces problèmes réels aux responsables (publics ou autres). Car, si un mal n’est pas clairement identifié et le « diagnostic » pas posé, alors « guérir » de ce mal peut s’avérer compliqué.

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