L’argent des Africains : Sitsopé, domestique au Togo – 107 euros par mois
Sitsopé, 25 ans, est domestique à Tsévié, une ville située à 35 km au nord-est de Lomé. Elle gagne mensuellement 70 000 francs CFA (soit 107 euros). Une somme au-dessus des salaires pratiqués dans le secteur au Togo. Nouvel épisode de notre série sur l’argent des Africains. Comment ils le gagnent ? Comment ils le dépensent ? Vous saurez tout !
En 2008, lorsqu’elle rate son examen de premier cycle, Sitsopé et sa famille font face à d’énormes difficultés pour survivre. Son père, agriculteur qui s’occupe seul jusque-là de la famille décède peu de temps après. Elle doit se résigner à abandonner l’école pour s’occuper de la fratrie. « Je n’avais pas le choix, car en tant qu’aînée, le devoir me revenait de m’occuper de mes quatre frères », explique-t-elle.
À 19 ans, la jeune fille abandonne l’idée devenir couturière, métier qui ne lui permettrait pas de rassembler immédiatement l’argent nécessaire pour que ses frères, élèves, puissent poursuivre leurs études. En persévérant dans cette voie, elle aurait pu escompter gagner jusqu’à 200 euros par mois, mais seulement après trois années d’apprentissage. Elle fait donc le choix de devenir domestique, un travail qui lui assure un revenu immédiat. Là, aucune formation n’est requise, si ce ne sont des qualités personnelles telles l’humilité et souvent le zèle. « Je me réveille très tôt pour entretenir la villa, servir à manger aux patrons et accompagner les enfants à l’école », indique-t-elle. C’est ainsi tous les jours ouvrables. « C’est fatiguant, mais nécessaire, je dois me battre très dur pour la famille, surtout mes frères », poursuit-elle.
Salaire mensuel : 107 euros
Pourtant Sitsopé est une chanceuse, dans une profession où le salaire dépasse très rarement les 70 euros. « Certains s’imaginent que je gagne beaucoup, mais j’en dépense autant », se contente de répéter la jeune femme qui reconnaît être bien traitée par son employeur.
En réalité, comme domestique, elle est rémunérée à hauteur de 40 000 F CFA (un peu plus de 60 euros). Elle gère également une petite boutique d’alimentation générale appartenant à sa patronne qui la rémunère 30 000 francs. Un total de 107 euros pour lequel la jeune femme doit se dévouer à plein temps.
30 euros pour son frère à Lomé
Les besoins d’un nouveau bachelier (son frère) ne cessent de croître. Et pour cela, Sitsopé, doit faire l’effort de lui envoyer au moins 15 000 Francs CFA pour son logement à Lomé et quelques dépenses. Une somme qu’elle dépense volontiers chaque mois pour celui qu’elle appelle « l’espoir de la famille ». « C’est un investissement pour demain », assure la domestique, toute confiante en la capacité de son « intello » à sortir un jour la famille des difficultés financières.
30 euros pour la santé sa mère
La santé de sa mère est chancelante, chose qui attriste la fille. «Sa première maladie, c’est sa vieillesse. Mais elle est aussi hypertendue », regrette t-elle. Elle s’emploie régulièrement à lui payer des médicaments qui, selon elle, sont onéreux. Sitsopé envoie ainsi mensuellement cette petite fortune (par rapport à son salaire) à sa mère à Lomé pour l’achat des produits et pour permettre à cette dernière, veuve, de survivre « en attendant les lendemains meilleurs ».
17 euros pour ses soins et pour la garde-robe
Même si les domestiques en Afrique ne sont en général pas soumis à des codes vestimentaires stricts, Sitsopé s’efforce de soigner son apparence… en accord avec sa patronne. Alors elle achète de temps en temps des vêtements, surtout pour l’église le dimanche, et pour certaines sorties avec ses employeurs. L’entretien de ses cheveux et l’achat de « quelques produits indispensables pour les femmes » portent la note des petits soins de Sitsopé mensuellement à près de 17 euros.
11 euros pour la dîme
Chrétienne d’une église évangélique, Sitsopé croit fermement en un Dieu protecteur de sa famille. De fait, elle accomplit « son devoir envers le créateur » en consacrant le dixième de son salaire pour la mission chrétienne. « Je dois donner chaque mois la dîme à l’église pour continuer à bénéficier de la protection de Dieu », explique-t-elle. L’engagement est souvent difficile à tenir assure-t-elle. Mais pour Sitsopé, cette dépense est non-négociable…
18 euros d’épargne
Sitsopé n’a jamais perdu de vue son rêve de devenir couturière, et pour cela, elle envisage d’ouvrir son propre atelier. « C’est moins embêtant, et je rêve de devenir patronne aussi. Ce boulot doit payer plus que ce que je gagne ici, c’est sûr », estime-t-elle. Elle épargne donc chaque jour 400 F CFA (0,61 euros) auprès d’un établissement de micro-finance.
Pour d’autres besoins qui ne sont pas prévisibles, Sitsopé garde chaque jour dans sa tirelire, des pièces de monnaie qui traînent dans sa poche. « Souvent, certains clients me font grâce des reliquats. Parfois, certaines personnes, pour les avoir introduites auprès de mon patron (commissaire de police), me glissent quelque chose ». Même si elle reconnaît que ces divers l’aident beaucoup pour arrondir les fins du mois, elle refuse pour autant d’en donner un montant, estimant qu’il ne s’agit que de « sommes aléatoires ». Les ambitions de la domestiques sont à la mesure de sa foi en Dieu. « Un jour, rêve-t-elle, je serai mon propre patron et gagnerai suffisamment d’argent pour supporter la famille », glisse-t-elle, un léger sourire au coin des lèvres.
Pour participer à notre série, vous pouvez nous écrire à argentdesafricains@jeuneafrique.com
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