Cameroun : le nouveau contrat social peuple-armée, couteau à double tranchant pour le régime

Tchioffo Kodjo et Charles Akong, blogueur spécialiste de la globalisation, ont coécrit cette tribune.

Des militaires camerounais (photo d’illustration). © Rebecca Blackwell BLACKWELL/AP/SIPA

Des militaires camerounais (photo d’illustration). © Rebecca Blackwell BLACKWELL/AP/SIPA

tchioffokodjo
  • Tchioffo Kodjo

    Tchioffo Kodjo est analyste géopolitique de la globalisation et doctorant à l’Université de Leipzig.

Publié le 2 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

La relation peuple-armée vit des mutations radicales jamais enregistrée dans l’histoire du Cameroun et est susceptible d’avoir des conséquences politiques inattendues. Mise sur pied dans le contexte de la rébellion du maquis, l’approche doctrinale de l’armée camerounaise a toujours été ancrée autour de la sécurité des régimes politiques successifs. Pour l’armée, la protection de la société est perçue comme secondaire et tributaire de la sécurité du régime.

Ceci a engendré une fracture sociale considérable entre l’armée et la majorité de la population, une fracture que les régimes politiques successifs ont entretenue afin d’assurer leur propre survie. L’armée se sert donc de sa capacité coercitive pour réprimer violemment toute manifestation civile, entraînant une « tonton-macoutisation » généralisée et paralysante des esprits.

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Quoique silencieuse, cette dynamique régime-armée semble être fragilisée et avoir muté profondément depuis la montée en puissance des attaques de Boko Haram contre le Cameroun en 2014. En effet, le rôle de l’armée, en tant que force protectrice du régime, semble céder la place à une nouvelle dynamique peuple-armée dans laquelle le peuple perçoit l’armée comme garante de l’intégrité territoriale tandis que cette dernière se positionne comme prestataire de services axés sur la sécurité des populations.

Socialisation encouragée par le gouvernement

Cette socialisation organique se développe à partir de la base et a été tolérée voire encouragée par le gouvernement. En effet, le chef de l’État a mis en place un comité interministériel pour la mobilisation de fonds auprès des masses. Cependant, il est difficile de prévoir comment l’armée utilisera cette nouvelle légitimité au-delà de la lutte contre Boko Haram. Puisque cette légitimité l’incline à développer une identité plus autonome, la projetant comme un 4e pouvoir, avec le législatif, le judiciaire et l’exécutif.

Contrairement à ce qu’il s’est passé en 2008 lors des émeutes de la faim, l’armée serait désormais probablement réticente à recourir à la force pour réprimer des manifestations si l’exécutif le lui ordonnait. Par conséquent, cette nouvelle identité est de nature à réduire substantiellement le contrôle de l’exécutif sur les forces armées, facteur clé de la sécurité du régime.

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En apparence, le régime semble bénéficier d’une sorte de légitimité à court terme, se projetant comme gouvernement capable de rallier la société camerounaise de plus en plus fragmentée autour d’un ennemi commun. Malgré son morcellement interne (BIR vs le reste), il est probable que des responsables de l’armée investissent ce capital moral afin de se tailler un rôle dans tout arrangement transitionnel possible.

Le rôle de la société civile

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Ce jeu stratégique dépendra aussi de l’esprit entrepreneurial des forces de la société civile. Selon la Constitution, le Sénat est habilité à gérer le processus de vacance à la présidence, mais il reste impotent en tant qu’institution. Et comme la plupart des autres, il souffre d’un déficit de crédibilité important ainsi que de tensions avec sa sœur aînée, l’Assemblée nationale. Dans le cas d’une impasse, l’armée jouera probablement un rôle ancré dans la crédibilité grandissante acquise aux yeux des populations. Même si elle veut rester indifférente, il est probable qu’elle soit invitée à prendre ses responsabilités par les forces de la société civile.

Gérer ce processus de socialisation peuple-armée demeure un enjeu critique pour la paix et la stabilité et pourrait s’avérer être un couteau à doubleau tranchant pour la survie du régime actuel.

Tchioffo Kodjo et Charles Akong, blogueur spécialiste de la globalisation, ont coécrit cette tribune.

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