Notre salut ? La nation
De quoi notre continent a-t-il le plus besoin aujourd’hui ? D’hommes providentiels, comme on l’entend souvent, de Lee Kwan Yu africains visionnaires qui décideraient de tout ? Peut-être, mais on ne peut pas dire qu’ils se soient bousculés aux portillons de nos palais ce demi-siècle passé.
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 5 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.
Des autoritaires, on en a vu, des visionnaires, pas vraiment. Les rares que nous avons connus n’ont pas toujours bien fini et ont souvent laissé leurs pays dans le pétrin… On peut toujours croire aux miracles, mais rien ne nous garantit qu’une génération spontanée de sauveurs soit en gestation. D’institutions fortes, comme le clame le président américain Barack Obama ? Certes, c’est un objectif, mais des institutions fortes dans des États (à ne pas confondre avec des pouvoirs) faibles, cela ne s’est jamais vu. En outre, comment ériger ces institutions dans des pays où règnent encore aujourd’hui des clivages ethniques, religieux, régionaux ou générationnels, mais aussi la non-observance des principes de probité, de justice, de totale démocratie ou de bonne gouvernance ?
La plupart des théâtres actuels de déstabilisation ou de conflits (politiques, postélectoraux ou armés) sur le continent ont pour origine l’affrontement entre personnalités issues de communautés différentes – qu’elles soient, encore une fois, ethniques, religieuses ou régionales – qui se disputent un pouvoir qu’elles n’entendent pas partager, dont elles useraient avant tout pour aider les leurs. Les uns veulent conserver ce qui leur appartient, les autres sont résolus à obtenir leur revanche et ce qu’ils estiment être leur dû.
C’est justement de cela, de nations fortes, dont l’Afrique a aujourd’hui le plus impérieux besoin
Ce fléau, que nous avons déjà évoqué dans ces colonnes, plonge autant ses racines dans les affres de la colonisation que dans la mauvaise gestion – par les Africains – des périodes qui lui ont succédé : mirages des indépendances et chimères de la démocratisation après les conférences nationales. Sans oublier le manque de maturité politique de populations peu éduquées, souvent à dessein. Résultat : outre un développement erratique, pas ou peu de nations, au sens où l’entendait Joseph Ernest Renan, celui qui en a le mieux défini le concept en… 1882 :
« L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. […] C’est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »
C’est justement de cela, de nations fortes, dont l’Afrique a aujourd’hui le plus impérieux besoin, le socle indispensable sur lequel repose tout le reste : démocratie authentique, État de droit, institutions solides, redistribution équitable des richesses, etc.
La solution viendra de notre jeunesse
Peut-on attendre de ceux qui n’ont guère contribué, ces cinq dernières décennies, à tisser une communauté de destin et à nourrir le sentiment d’appartenance nationale qu’ils mettent enfin tout en œuvre aujourd’hui pour atteindre cet objectif ? Probablement pas, mais qu’importe. La solution viendra de notre jeunesse, qui, désespérant de voir s’améliorer rapidement et réellement ses conditions de vie – un amer constat dont elle rend responsables ses aînés -, ne devrait pas être encline à reproduire les erreurs du passé.
D’autant qu’elle supporte de plus en plus difficilement les politiciens roués, a fortiori les semeurs de haine, préfère le brassage aux clivages et, surtout, refuse désormais d’être privée de ses libertés, notamment celle de choisir ceux qui pourraient, éventuellement, lui redonner espoir. Dernier exemple en date, évidemment, le Burkina. Les jeunes « Hommes intègres » viennent de démontrer, en battant le pavé, parfois sous la menace de kalachnikovs, que, soudés par une conscience nationale élevée, tout devenait possible. Sans qu’il soit question d’ethnie ou de religion. Et sans hommes providentiels ni institutions solides.
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