Gabon : à Libreville, noir c’est noir pour l’auteur de polars Janis Otsiemi

Aux « États-Unis d’Akebe », quartier populaire de Libreville, la bière coule à flots en cette fin de semaine et la rumba déchire les tympans dans la « ruelle de la joie », bordée d’une enfilade de bars aussi dansants qu’alcoolisés.

L’écrivain gabonais Janis Otsiemi dans le quartier des Charbonnages à Libreville, le 23 septembre 2015. © Steve Jordan/AFP

L’écrivain gabonais Janis Otsiemi dans le quartier des Charbonnages à Libreville, le 23 septembre 2015. © Steve Jordan/AFP

Publié le 3 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

A l’ombre d’un manguier, se trouve le maquis « L’Escale du Bantu », quartier-général de Janis Otsiemi, talentueux et unique auteur gabonais de polars.

C’est dans ce quartier de mapanes (bidonvilles) aux rigoles charriant des liquides indistincts, bien loin de l’imposant palais présidentiel du bord de mer ventilé par l’Atlantique, que Janis Otsiemi, bientôt quarante ans, a grandi, « avant de se tirer de là » dès qu’il a pu.

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Pour rejoindre sa maisonnette natale où vit encore l’une de ses neuf sœurs, Nadine, il faut zigzaguer entre des murettes écroulées, ne pas glisser sur la mousse surgie des craquelures du sol, sauter des flaques à l’eau croupie, paradis des moustiques: ce quartier a été construit sur un marécage, en contrebas de la route, le sol n’a pas été drainé, les eaux s’infiltrent. Ce jour, il ne pleut pas, mais on peut imaginer pendant la grande saison des pluies.

L’auteur de romans très noirs aux titres aussi évocateurs que « La vie est un sale boulot » et « La bouche qui mange ne parle pas » frappe de sa main la table à la toile cirée de la petite salle à manger : « C’est ici que j’ai commencé à écrire mon premier livre, ici que j’ai imaginé mes personnages, qu’ils ont pris corps. Dans la galère, la misère ».

On l’imagine, dans la nuit, sur son cahier quand les dix frères et sœurs se sont endormis. Il écrit toujours la nuit : « La nuit remue les âmes et les cœurs, les enfants dorment, on entend les petits bruits du quartier, les chats, les pas des passants ».

« Pas un chat qui crâne »

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Mais, dans son style simple qui bouscule la langue française pour enfanter de nouveaux mots nés des cris de la rue, les chats pas plus que les passants ne sont à la fête : « Pas un chat qui crâne dans la ruelle faiblement éclairée qui traverse le quartier », les habitants se cloitrent, laissant la place « à la faune nocturne », écrit-il à l’entame de son dernier livre, « Voleurs de sexe ».

La faune qui hante la nuit librevilloise chez Otsiemi ? De petits escrocs, des maladroits, des rêveurs et des ratés, obsédés par la quête de CFA, de sexe et d’alcool. Des flics pourris, des putes perdues, de gras politiciens et hommes d’affaires corrompus. Pas de super héros, la vie au ras des égouts, des pleurs et du sang, des personnages parfois drôles et poétiques, des « tchatcheurs qui savent verber les filles » mais n’oublient pas que, « quand les éléphants maigrissent, les gazelles meurent » dans ce pays pétrolier incapable d’assurer une vie décente à la moitié de ses 2 millions d’habitants.

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Et, fatalement, les petits apprentis-malfrats tombent malencontreusement sur de gros coups, trop gros pour eux. Mais, quand le CFA mène la danse à travers un milieu maçonnique véreux, quand des photos compromettantes pour le président vous tombent entre les mains, cela donne de fortes envies d’aller y voir…. et ça refile la poisse.

Dans sa maisonnette, Nadine, la sœur de Janis Otsiemi, s’exclame: « C’est le génie de la famille! Quand il a commencé, on n’y croyait pas. Il a émergé, il est devenu ce qu’il est devenu ».

Janis est ainsi prénommé parce que son père « a dû penser à Janis Joplin » à sa naissance. « Quand ma mère m’a accouché, elle voulait une fille. Après, elle a fait neuf filles, et un dernier garçon. J’ai grandi dans un harem ».

Étonnamment, les premières lectures de celui qui boxe la langue et cabosse ses personnages, furent des romans à l’eau de rose : « J’ai commencé avec Barbara Cartland, des romans photos, je n’avais que ça à lire ».

Ses premiers lecteurs ont été ses amis du quartier de la mouise, ce sont eux qui lui ont dit « continue, continue! ». Ses livres, publiés par les éditions Jigal, commencent à être connus en France, ils sont aussi lus à Libreville, qui ne compte pourtant qu’une seule véritable librairie aux maigres rayons.

« En plus, tout ce qu’il écrit est vrai », affirme Arielle, une de ses amies d’enfance qui, elle aussi, a « pu quitter le ghetto ». Tout, même le degré inouï de corruption des policiers ? « Ici, les policiers t’attrapent comme si tu étais Ben Laden, affirme Janis, il n’y a jamais d’enquête. Les enquêteurs sont des corrompus ».

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