Après la Beac et la Cemac, la BDEAC ?

Les six chefs d’État de la région ne chômeront pas lors de leur sommet à Brazzaville, le 24 juillet. Outre l’épineux dossier de la présidence de la Commission, ils devraient aussi s’intéresser à la gestion de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale, qui soulève bien des questions.

Les six chefs d’État de la Cemac doivent se réunir à Brazzaville le 24 juillet. © Jeune Afrique

Les six chefs d’État de la Cemac doivent se réunir à Brazzaville le 24 juillet. © Jeune Afrique

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Publié le 23 juillet 2012 Lecture : 6 minutes.

Perte

Pilotée depuis janvier 2010 par le Gabonais Michaël Adandé, qui a pris la succession du Centrafricain Anicet-Georges Dologuélé pour un mandat de cinq ans, cette banque régionale publique axée sur le financement de projets, et dont le siège est à Brazzaville, a enregistré en 2011 une perte de près de 5 milliards de F CFA (7,6 millions d’euros), validée début juillet par l’assemblée générale de ses actionnaires. Due en partie au défaut de paiement de deux de ses clients congolais – l’homme d’affaires Bernard Yoka et l’hôtel en reconstruction Mbamou Palace – qui, selon la direction de la BDEAC, n’auraient pas honoré leurs échéances, cette situation cache en réalité un profond malaise que traduisent diverses notes adressées courant juin par des collectifs de cadres de la banque tant aux chefs d’État de la Cemac qu’aux trois membres du comité d’audit indépendant de la BDEAC.

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Il est reproché à Michaël Adandé d’avoir « nationalisé » la direction de la banque au-delà du raisonnable.

En cause : les méthodes de gestion de Michaël Adandé, 60 ans, proche et protégé de l’ancien grand argentier du Gabon Émile Doumba, qui fit beaucoup pour son accession à ce poste lors du sommet de Bangui en janvier 2010. Outre un style de management des ressources humaines pour le moins expéditif si l’on en croit ces témoignages, marqué notamment par des réunions happenings hebdomadaires de plusieurs heures devant des cadres tétanisés, il est reproché au président d’avoir « nationalisé » la direction de la banque au-delà du raisonnable (plus de la moitié des postes de chef de division sont désormais occupés par des ressortissants gabonais) sur la base de critères de recrutement parfois opaques. Autant d’anomalies relevées en mai dernier dans un prérapport – dont Michaël Adandé conteste les conclusions – du cabinet français Sofreco, opérant dans le cadre d’un programme d’appui institutionnel de la Banque mondiale.

Nonchalance

Autre constat : le curieux manque d’empressement mis par la présidence de la BDEAC à récupérer les quelque 11 milliards de F CFA perdus par la banque dans le scandale Madoff, à l’époque où Anicet-Georges Dologuélé occupait le fauteuil de Michaël Adandé. Bank Austria, dont dépendait le fonds Primeo dans lequel la BDEAC avait malencontreusement investi, a déjà été assigné devant le tribunal de commerce de Vienne par deux autres institutions financières africaines, elles aussi victimes de ce fonds géré de facto par l’escroc Bernard Madoff : le Fonds de solidarité africain (FSA) et le Fonds africain de garantie et de coopération économique (Fagace) – et ce avec de bonnes chances de réussite. Elles ont pour cela déposé il y a plusieurs mois la caution nécessaire à leur action en justice devant une juridiction autrichienne, ainsi que l’exige la loi. Or, malgré les rappels de son cabinet d’avocats parisien, la BDEAC, qui a tout de même 16 millions d’euros à récupérer dans l’affaire, n’avait toujours pas mis en place sa propre garantie de consignation au 10 juillet, au risque imminent de voir son action jugée prescrite, donc irrecevable. Étrange.

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Les multiples déplacements à l’étranger d’un président de banque qui a consommé à lui seul une bonne partie de la dotation budgétaire en frais de déplacement et de mission mériteraient des explications.

Tout comme sont étranges – et mériteraient, assurément, quelques explications – les multiples déplacements à l’étranger d’un président de banque qui a consommé à lui seul une bonne partie de la dotation budgétaire en frais de déplacement et de mission de son établissement pour les années 2010 et 2011. Voyages « chez lui », à Libreville, pour de fréquents passages justifiés par des « rencontres avec les autorités gabonaises ». Mais aussi à Paris, où réside une partie de sa famille : treize jours et autant de frais de mission (144 000 F CFA par jour, hôtel et location de véhicule avec chauffeur pris en charge) fin 2010 et début 2011 pour un unique rendez-vous « de suivi », dont l’importance n’apparaît pas stratégique (avec le coordonnateur du Forum sur le lac Tchad), ou encore quinze jours dans les mêmes conditions, lors des fêtes de fin d’année 2011, pour la signature d’une convention avec une société camerounaise (lire fac-similé ci-dessus).

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Malaise

Avec un salaire mensuel hors frais (pris en charge ou remboursés) de 9 millions de F CFA auquel s’ajoute un intéressement sur les résultats annuels de la banque, Michaël Adandé fait il est vrai figure de parent pauvre à côté de ses collègues de la Cemac et de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), même si cet argent de poche est encore supérieur à ce que gagne l’actuel Premier ministre français. Il n’empêche : la banque de développement régionale de l’Afrique centrale a le blues, le malaise de nombre de ses cadres est patent et de sérieuses questions se posent sur la qualité d’une gouvernance qui ne peut plus guère s’abriter derrière le pseudo-héritage laissé par celle qui l’a précédée pour justifier ses propres approximations. Avant que les bailleurs de fonds extérieurs de la BDEAC (Banque mondiale, Banque africaine de développement, Banque européenne d’investissement, Agence française de développement) ne s’en aperçoivent et ne remettent en cause leurs concours, les six chefs d’État d’Afrique centrale réunis à Brazzaville seraient bien inspirés de s’en préoccuper. En tenant compte, pourquoi pas, de cette suggestion applicable également aux présidences de la Beac et de la Commission de la Cemac, et qui aurait pu leur éviter quelques erreurs de casting : que les dirigeants de ces institutions soient désormais désignés sur la base d’une sélection menée par un cabinet international à partir d’un appel à candidatures ouvert aux ressortissants des pays éligibles à ces postes. Les chefs d’État n’auraient plus alors qu’à avaliser ces choix (ou, exceptionnellement, à les refuser) en toute connaissance de cause. Et avec beaucoup moins de risques d’avoir à s’en mordre les doigts. 

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