La Cour suprême espagnole a ordonné la levée des mandats d’arrêt visant 40 militaires rwandais

La Cour suprême espagnole a confirmé l’abandon des poursuites contre 40 Rwandais et la levée des mandats d’arrêt européens qui avait conduit, en juin, à l’arrestation à Londres du chef des services secrets rwandais, Emmanuel Karenzi Karake.

Des manifestants protestent contre l’arrestation d’Emmanuel Karenzi Karake, devant la Haute cour de justice britannique, le 25 juin 2015, © Denyse Uwera/AP/SIPA

Des manifestants protestent contre l’arrestation d’Emmanuel Karenzi Karake, devant la Haute cour de justice britannique, le 25 juin 2015, © Denyse Uwera/AP/SIPA

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Publié le 8 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

La justice espagnole vient de jeter un gros pavé dans le Lac Kivu. Dans un jugement daté du 24 septembre, que Jeune Afrique a pu consulter, la chambre criminelle de la Cour suprême espagnole vient en effet de sonner le glas de la procédure instruite à partir de 2005 par le juge Fernando Andreu Merelles contre 40 militaires rwandais. En 2008, celle-ci avait donné lieu à l’émission d’autant de mandats d’arrêt européens visant les intéressés, dont plusieurs occupent de hautes fonctions dans l’appareil rwandais de Défense.

Portant sur l’assassinat au Rwanda, entre 1994 et 1997, de neuf ressortissants espagnols (trois employés de Medicos del Mundo et six prêtres), l’information judiciaire s’était progressivement étendue à des crimes de masse qui auraient, selon le magistrat espagnol, été commis au Rwanda et au Congo, de 1990 à 2000, par l’ancienne rébellion tutsie du FPR puis par l’armée nationale rwandaise. Une procédure qui avait donné lieu à de vives critiques bien au-delà du Rwanda, car elle proposait de l’histoire du génocide de 1994 une grille de lecture jugée par certains « négationniste ».

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« Un soulagement pour le Rwanda »

« C’est un soulagement pour le Rwanda de constater que la justice espagnole a écarté une conception dévoyée de la compétence universelle », a déclaré à Jeune Afrique Johnston Busingye, le ministre rwandais de la Justice. « Nous avons toujours affirmé que cette procédure n’avait rien à voir avec la justice mais qu’elle répondait à des motivations de basse politique. » En janvier 2015, la cour d’appel de l’Audiencia nacional, à Madrid, avait déjà rendu un arrêt qui ordonnait l’arrêt des poursuites contre les 40 Rwandais (à titre provisoire pour certains et définitif pour d’autres) et la levée des mandats d’arrêt internationaux.

Cette dernière mesure était toutefois conditionnée par le caractère définitif de la procédure, une fois l’ensemble des voies de recours épuisées. Des associations de parties civiles ainsi que le Parquet avaient alors formé un pourvoi devant la Cour suprême, lequel a été examiné le 10 septembre. Dans sa décision, la haute juridiction rejette les arguments invoqués par le Parquet et la partie civile, rappelant qu’au terme de la nouvelle loi adoptée en Espagne en 2014, le caractère extensif de la compétence universelle qui avait cours jusque-là dans ce pays a été limité par le législateur. Autrement dit, en cas de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre, la justice espagnole n’est compétente que si l’auteur présumé est de nationalité espagnole ou a élu domicile en Espagne.

« Le cadre juridique qui réglemente en Espagne la compétence universelle est le fruit d’une évolution par laquelle le caractère extensif de la compétence juridictionnelle de l’Audiencia nacional a fait de notre pays un pôle d’attraction pour initier des procédures lorsque les auteurs présumés ne se trouvaient pas sur le sol espagnol et où il n’existait aucun autre critère de rattachement [à l’Espagne], ce qui a conduit le législateur à adopter des critères plus restrictifs », écrivent les magistrats, tout en rappelant qu’aucun traité international signé par l’Espagne ne lui fait obligation d’appliquer un modèle « absolu et inconditionnel de compétence universelle ».

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Interruption “provisoire” des poursuites

La Cour suprême ordonne toutefois que l’interruption des poursuites revête un caractère « provisoire ». Ce qui signifie que la procédure serait susceptible d’être rouverte à l’unique condition que l’un des 40 Rwandais précédemment inculpés soit amené à séjourner sur le territoire espagnol. En revanche, ces derniers pourront de nouveau voyager librement en Europe. On se souvient qu’en juin, le chef des services secrets rwandais, Emmanuel Karenzi Karake, avait été arrêté puis assigné à résidence à Londres, au détour d’un voyage officiel, en vertu des mandats d’arrêts européens délivrés par la justice espagnole en 2008. Deux mois plus tard, la justice anglaise s’était finalement déclarée incompétente pour statuer sur la demande d’extradition espagnole, et « KK » avait pu regagner le Rwanda.

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Pour l’avocat belge Bernard Maingain, qui a été consulté par le gouvernement rwandais dans ce dossier, plaidé par des avocats espagnols, « cette décision confirme implicitement la pertinence de la position défendue par le Rwanda, selon laquelle il revient aux cours et tribunaux africains de juger les crimes qui auraient été commis sur le sol africain ». « On en revient à l’application classique des règles du droit pénal international », ajoute Me Maingain, qui estime en outre qu’il s’agit d’un « camouflet pour le juge Merelles, qui avait développé une thèse négationniste méconnaissant l’histoire des peuples d’Afrique ».

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