Christophe Boisbouvier : « En Afrique, François Hollande est en campagne pour 2017 »
François Hollande a-t-il rompu avec la Françafrique, comme il l’avait promis avant son élection à la présidence française ? Quelle politique mène-t-il sur le continent africain ? Réponses de Christophe Boisbouvier, journaliste à RFI, collaborateur de Jeune Afrique et auteur du livre « Hollande l’Africain », en librairies le 15 octobre.
Que s’est-il donc passé pour que François Hollande passe, selon l’expression du journaliste Raymond Cartier, de la Corrèze au Zambèze ? Réputé peu connaisseur des questions internationales, le chef de l’État français, économiste de formation, plus attiré par la Cour des comptes que par les joutes diplomatiques, n’avait, a priori, rien d’un africaniste.
Pourtant, entouré de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, d’Hélène Le Gal ou de Thomas Mélonio, ses conseillers Afrique, le « Corrézien » a fourbi ses armes, au sens propre comme au figuré. Interventionniste au Mali et en Centrafrique, droits-de-l’hommiste à Kinshasa, calculateur à Bangui et à Bamako… Christophe Boisbouvier, journaliste à RFI, collaborateur de Jeune Afrique et auteur du livre « Hollande l’Africain », en librairies le 15 octobre, analyse la trajectoire récente du chef de l’État français.
Jeune Afrique : François Hollande a-t-il rompu avec la Françafrique, comme il l’avait promis lors de sa campagne en 2012 ?
Christophe Boisbouvier : Il a rompu avec une certaine Françafrique, celle du clientélisme et de l’affairisme, qui se caractérisait sous Nicolas Sarkozy par les visiteurs du soir qu’étaient Robert Bourgi ou Patrick Balkany. Mais François Hollande n’a absolument pas coupé les ponts avec la Françafrique institutionnelle, celle des bases militaires et du franc CFA. Il est aussi attaché à une certaine tradition qui fait de la France, un gendarme de l’Afrique. La preuve : il est aussi interventionniste que Nicolas Sarkozy.
A-t-il soldé l’héritage de François Mitterrand, dont il a été le collaborateur, en Afrique ?
Non seulement il ne l’a pas soldé, mais il l’assume, au moins en partie. Il continue de penser, comme le faisait Mitterrand, que l’Afrique est un champ d’action et un vecteur d’influence de la France, à la fois au niveau du « hard » et du « soft power ». En revanche, il n’est pas à l’aise avec la partie la plus polémique de cet héritage : les interventions au profit d’un clan contre un autre, au profit d’un chef d’État contre son peuple, le dossier rwandais.
Pense-t-il, comme le faisait Mitterrand, que la France a un « pré carré » à défendre en Afrique ?
Il ne le dira pas comme ça. C’est une expression trop connotée « vieille France », issue d’idéologie qui date en fait de Louis XIV et du 17e siècle. Mais, d’une certaine façon, en partageant le socle de la politique extérieure mitterrandienne, il le pense.
Le tournant de sa politique, c’est l’alliance avec Idriss Déby Itno, qu’il n’aime pas.
Le sommet de la Francophonie de Kinshasa, en 2012, lorsqu’il se montre particulièrement glacial envers Joseph Kabila, symbolise-t-il le pan « droit-de-l’hommiste » de sa politique africaine ?
C’est en tout cas le seul moment où François Hollande essaie de marquer sa différence par rapport aux anciennes relations de la France avec les régimes autoritaires. Il n’avait pas envie d’aller à Kinshasa et de serrer la main de Joseph Kabila. Mais il se décide à y aller, notamment parce qu’Abdou Diouf lui fait comprendre que la survie de la Francophonie se joue. Il a vis-à-vis de Kabila un comportement à la limite de la désinvolture et de la discourtoisie, mais ses obligations de chef d’État priment. Il recevra d’ailleurs le même Joseph Kabila quelques temps plus tard à l’Élysée.
François Hollande a donc basculé dans la « realpolitik » après Kinshasa ?
Le véritable tournant serait plutôt l’intervention au Mali, quelques mois plus tard. François Hollande se rend compte qu’il est obligé de trouver des alliances, sous peine de perdre beaucoup d’hommes dans le nord malien. Le tournant, c’est avant tout la nécessité de s’allier avec le Tchad, avec un président, Idriss Déby Itno, qu’il n’aime pas et que le Parti socialiste a beaucoup critiqué, notamment au moment de la disparition de Ibni Oumar Mahamat Saleh.
Alors dans l’opposition, il a soutenu les interventions françaises en Côte d’Ivoire puis en Libye. Pouvait-on déjà y voir les premiers signes du chef de guerre que l’on découvrira au Mali ?
Oui, dans une certaine mesure. En ne s’opposant pas à ces interventions, il prouvait qu’il faisait partie d’une classe politique française imprégnée de l’héritage gaullo-mitterrandien. Pour lui, dès cette époque, la France a un rôle à jouer dans le monde, plus important que ses moyens économiques et politiques. De ce point de vue, il y a une continuité claire entre le François Hollande opposant et le François Hollande au pouvoir. Mais il faut bien comprendre qu’il n’est pas un homme de doctrines. C’est un pragmatique, certains disent même opportuniste. Dans chaque situation, que ce soit au Mali ou au Burkina au moment de la chute de Blaise Compaoré, il a toujours plusieurs plans en poche.
François Hollande et Alpha Condé continuent de s’envoyer des SMS en utilisant leurs anciens téléphones
Quelles relations entretient-il avec les chefs d’État du continent ?
Le courant ne passe pas avec tout le monde. Il s’entend beaucoup mieux avec les anciens camarades de l’Internationale socialiste, Alpha Condé et Mahamadou Issoufou, qu’avec les anciens amis de la droite française, Joseph Kabila ou Denis Sassou Nguesso. Avec l’IS, il y a un socle de convictions partagées et une certaine camaraderie qui s’est forgée, au fur et à mesure des congrès. Aujourd’hui, cela a donné une sorte de club dans lequel on se tutoie, on se téléphone, etc… Aujourd’hui François Hollande et Alpha Condé continue par exemple de s’envoyer des SMS en utilisant leurs anciens téléphones datant d’avant leurs élections respectives. De fait, cela fluidifie des relations et cela isole les opposants, comme Cellou Dalien Diallo en Guinée par exemple.
On sent tout de même François Hollande plus méfiant que ses prédécesseurs au sujet des relations personnelles avec les présidents africains.
C’est vrai. Il l’est depuis longtemps. Dès 1998, en tant que Premier secrétaire du PS, il dit à Guy Labertit, Monsieur Afrique du parti : « En Afrique, il n’y a que des coups à prendre ». Il a volontairement gardé ses distances avec le continent dans les années 80 et 90 : il avait peur de se salir les mains. En 1998, il est par exemple membre de la commission de la Défense nationale à l’Assemblée mais ne participe pas à la mission d’information sur le Rwanda. Il se dit que c’est un sujet brûlant et qu’il ne vaut mieux pas s’en approcher.
Il reste donc à distance. Sauf sur le cas de Laurent Gbagbo ?
François Hollande s’est laissé emporter par la vague gbagboiste au sein du PS à la fin des années 90. Il prend même position pour Laurent Gbagbo lors de la présidentielle de 2000 en Côte d’Ivoire, en le félicitant pour sa victoire. Pendant un an ou deux, c’est même une quasi lune de miel. Ce n’est que plus tard, à partir du soulèvement du nord ivoirien et de la répression qui s’en suit, lorsque la presse française va parler d’escadrons de la mort au sein du régime Gbagbo, que Hollande reprend ses distances. Il y a au PS à cette époque un clivage entre les pro-Gbagbo, autour d’Henri Emmanuelli, pour qui le fait que l’Ivoirien soit socialiste prime sur ses atteintes aux droits de l’homme, et les autres qui ne veulent pas fermer les yeux sur les exactions. Comme Dominique Strausss-Kahn et Laurent Fabius, qui étaient déjà proche d’Alassane Ouattara, Hollande est clairement dans cette deuxième posture. En 2010, il va même clairement accuser Laurent Gbagbo d’être un « dictateur ».
François Hollande fait-il des droits de l’homme un élément central de sa politique africaine ?
En tout cas, il les met en avant. Quand il lance l’opération Serval au Mali, il pointe le risque de la prise de Bamako pour les civils. Ensuite, il justifie l’intervention Sangaris en Centrafrique en dénonçant des massacres de blessés dans les hôpitaux de Bangui. Évidemment, il poursuit également une politique d’influence très forte. En Centrafrique, la France intervient notamment en sous-main pour la nomination de Catherine Samba-Panza. Au Mali, ce sont encore les autorités françaises qui ont donné la feuille de route post-crise aux Maliens. Dioncounda Traoré n’était pas d’accord sur le calendrier, mais la France le lui a imposé. Sur ce point, il agit comme le faisait ses prédécesseurs, notamment Nicolas Sarkozy en Côte d’Ivoire.
D’ici 2017, Hollande espère obtenir 200 000 créations d’emplois en lien avec l’Afrique
François Hollande peut-il se servir de la justice française, sur des dossiers comme les biens mal acquis, comme d’un instrument de sa politique africaine ?
François Hollande sait que la justice française n’est pas facile à influencer et que cela pourrait se retourner contre lui. C’est sans doute la différence entre Nicolas Sarkozy et lui. Sous Sarkozy, il y avait des pressions sur la justice pour lever le pied sur un certain nombre de dossiers, notamment les biens mal acquis. Avec Hollande, on « vit avec » la justice en se disant que, si tel ou tel dossier peut nous arranger, tant mieux. Les juges savent qu’ils ont plus de liberté aujourd’hui avec François Hollande qu’avec ses deux prédécesseurs. Résultat : le dossier des biens mal-acquis avance au niveau judiciaire et, dans le même temps, au niveau politique, Denis Sassou Nguesso est reçu à l’Élysée.
En Afrique, François Hollande est-il déjà en campagne pour sa réélection en 2017 ?
Oui, clairement et depuis longtemps. Il a commencé à se dire que son bilan étranger pouvait convaincre les Français de revoter pour lui lorsqu’il a été acclamé à Tombouctou le 2 février 2013, alors que l’armée française venait de libérer la ville. Il raconte d’ailleurs que cette journée est « sans doute la plus importante de [sa] vie politique. Il espère également que le continent va lui offrir des résultats au niveau de la lutte contre le chômage et table sur 200 000 créations d’emplois en lien avec l’Afrique. Enfin, il soigne son bilan de politique extérieure par des coups médiatiques et diplomatiques, comme la libération de Michel Thierry Atangana ou la rencontre en RDC avec les veuves de Floribert Chebeya et Fidel Bazana. En bref, François Hollande est en campagne pour 2017. Il y pense en permanence.
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