Tunisie : ce que l’on sait de la tentative d’assassinat de Ridha Charfeddine
L’attribution du prix Nobel de la Paix 2015 au Quartet qui a mené le dialogue national n’empêche pas les Tunisiens de se demander qui a voulu attenter à la vie de Ridha Charfeddine, jeudi dernier.
Cette question rejoint celles, toujours sans réponses, qu’ils formulent régulièrement depuis les assassinats en 2013 des leaders politiques Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Le guet-apens tendu au député de Nidaa Tounes et patron du laboratoire pharmaceutique Unimed a profondément choqué et perturbé les Tunisiens, qui pensaient en avoir fini avec la violence politique.
Qui est Ridha Charfeddine ?
Discret, l’élu de la circonscription de Sousse, 63 ans, est un notable en vue, un chef d’entreprise prospère et sans histoires. Candidat aux législatives, il avait renoncé, comme l’exige la loi, à ses parts dans le capital de la chaîne de télévision « Ettassia », et les avait cédées à un proche. De nombreux tunisiens ne peuvent s’empêcher de faire le lien avec les déclarations de Moez Ben Gharbia, fondateur de la chaîne, qui avait, via une vidéo mise en ligne le 4 octobre, secoué le pays en annonçant que sa vie était menacée par des inconnus qu’il sommait de renoncer à leur projet faute de quoi il menaçait de révéler les dessous des attentats du Bardo et d’El Kantaoui, ainsi que ceux des assassinats des leaders politiques Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi et des disparition de figures de la société civile telles que Faouzi Ben Mrad et Tarek El Mekki.
Les faits
Le jeudi 8 octobre au matin, comme à son habitude Ridha Charfeddine emprunte la route sur deux voies qui mène d’El Kantaoui, où il réside, à la zone industrielle proche d’Akouda, pour rejoindre ses bureaux d’Unimed. Il est 9 heures 50 quand il est pris en chasse par un 4×4 blanc de marque Mahindra. Selon un témoin, cette voiture avec deux personnes à bord était quelques minutes plus tôt stationnée en bord de route, comme en attente.
Les premières constations révèlent huit impacts de munition sur l’habitacle de la voiture et 20 balles de 9 mm éparpillées sur quelques centaines de mètres.
Le populaire président du club de l’Étoile Sportive du Sahel (ESS) qui, ce jour-là, avait renoncé à son chauffeur et opté pour un Q7 Audi qu’il utilise rarement, précise s’être rendu compte qu’il était suivi après les premiers tirs qui ont brisé le verre de la lunette arrière. Lui aussi confirme la présence d’un conducteur et d’un passager armé et assure être un miraculé. Tout se passe très vite, la course poursuite ne dure pas. L’élu de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) doit la vie à la maladresse des tireurs et à son réflexe de survie, en prenant de vitesse ses poursuivants malgré son véhicule endommagé parles tirs. Ce n’est qu’en arrivant à ses bureaux que Ridha Charfeddine réalisera qu’il a été la cible de tueurs qui, entre temps, se sont enfuis. Ils n’ont toujours pas été identifiés.
Les premiers éléments de l’enquête
Les premières constations révèlent huit impacts de munition sur l’habitacle de la voiture et 20 balles de 9 mm éparpillées sur quelques centaines de mètres. Dans les milieux de l’enquête, on penche a priori vers l’utilisation d’un Beretta et on retient comme vraisemblable que Ridha Charfeddine était surveillé et qu’un ou plusieurs hommes en planque avaient alerté leurs complices quand le patron d’Unimed a quitté son domicile et signalé à bord de quel type de voiture il se trouvait.
Les pistes judiciaires
La dynamique de l’attaque laisse perplexe les enquêteurs. Ils ne privilégient pas a priori un acte mené par une organisation terroriste dont les tireurs sont justement formés à ne pas rater leur objectif. Certains estiment que cette tentative n’est pas une réelle volonté d’éliminer Ridha Charfeddine, mais peut être de l’ordre d’une menace à prendre (très) au sérieux.
D’autres pensent que l’affaire n’est pas politique, d’autant que Ridha Charfeddine n’est ni un grand tribun ni un député très en vue, et se penchent plutôt sur les rivalités entre clubs sportifs. Il est vrai que l’ESS a fait une montée fulgurante dans le championnat. Mais beaucoup sont tentés de penser que les propos de Ben Gharbia ont déclenché cette opération, même si Ridha Charfeddine ait pris ses distances avec la chaîne « Ettassia ». Pour ces derniers, la tentative d’assassinat n’est pas un règlement de compte en lien avec d’éventuels faits de corruption ou les organisations criminelles qui sévissent en Tunisie.
Le contexte sécuritaire et réactions politiques
Depuis l’émergence du terrorisme en 2012 et les assassinats politiques de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, la Tunisie doit composer avec une instabilité sécuritaire liée également à la situation en Libye. Les attentats du musée du Bardo en mars 2015 puis celui d’El Kantaoui en juin de la même année, ont eu un impact conséquent sur l’image du pays avec une chute de 60 % des flux touristiques. Conséquence : le pays, en récession technique, peine à se relever économiquement et semble chercher des issues.
Tous les partis politiques, quelle que soit leur idéologie, ont été unanimes à déclarer leur soutien à Ridha Charfeddine et à condamner l’ attaque. Mais Mohsen Marzouk, secrétaire général de Nidaa Tounes, a été le seul à vouloir établir un lien entre cette tentative d’assassinat et l’appartenance politique de Ridha Charfeddine. Il avait eu la même position suite à l’attaque de l’hôtel Riu impérial en juin 2015, propriété de Zohra Driss, elle aussi députée de Nidaa Tounes.
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