Algérie : le « bon » médiatique, la « brute » étatique et le « truand » islamiste
Lundi, El Watan TV était fermée par les autorités algériennes, après la diffusion de propos jugés belliqueux de l’ancien chef de l’Armée islamique du salut, Madani Mezrag. Censure illégitime ou logique application des principes d’amnistie conditionnée et de responsabilité éditoriale ? Chacun voit midi à sa porte.
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 14 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.
La quête de la liberté d’expression, et son corollaire la liberté de presse, n’est pas un long fleuve tranquille. Le droit d’exprimer publiquement toute position est parfois pris à son propre piège, comme en fit parfois l’expérience l’association « Reporters sans frontières », inconfortable dans l’apologie de stars de la plume devenues méconnaissables au fil du soutien. Du côté de la matraque, Manuel Valls ne dormit peut-être pas d’un sommeil si profond, lorsqu’il s’en prit aux propos du polémiste et/ou humoriste Dieudonné Mbala Mbala.
Trop de liberté d’expression tuerait-elle la liberté d’expression ? Le débat est sur la table, en Algérie, depuis le début de la semaine et la fermeture, par le gouvernement, de la chaîne privée El Watan TV pour « propos subversifs et atteinte au symbole de l’Etat ». Dans cette affaire, le face à face se mue en théâtre de marionnettes à trois.
Comme dans un remake de Le bon, la brute et le truand, le triangle met en scène le « bon » journaliste, la « brute » institutionnelle et le « truand » politique. Ce dernier, Madani Mezrag, n’est autre que l’ancien chef de l’Armée islamique du salut (AIS), bras armé du Front islamique du salut (FIS), dont la légèreté du casier judiciaire tient surtout à la loi de « Concorde civile » de 1999. Cette loi est mise au crédit d’Abdelaziz Bouteflika, notamment de ses négociations avec l’AIS. C’est pourtant à Bouteflika que s’en prit Mezrag sur les antennes d’El Watan TV…
Il y a des menaces qui résonnent tout particulièrement, quand elles proviennent de la bouche de certains acteurs de la « décennie noire »
Bien sûr, la liberté d’expression n’interdit pas de mordre verbalement la main de celui qui nourrit votre réinsertion dans le cercle de la cité. Mais, tout de même, la Charte de la paix et de la réconciliation ne comprenait-elle pas des articles qui contraignaient à plus que la gratitude temporaire envers son miséricordieux ? L’amnistie, en effet, fut accordée aux islamistes qui s’engageaient à ne pas mener d’activité politique. Et Madani Mezrag, 15 ans plus tard, de vouloir créer une formation ; et le pouvoir algérien de s’y opposer ; et Mezrag de tancer « Boutef », sur le petit écran, en indiquant que si celui-ci ne « revoit pas sa position, il va entendre ce qu’il n’a jamais entendu auparavant ». Il y a des menaces qui résonnent tout particulièrement, quand elles proviennent de la bouche de certains acteurs de la « décennie noire » algérienne…
Voilà que se déroule un bras de fer somme toute banal, mais qui prend une dimension nouvelle, du fait de l’intervention du catalyseur médiatique. Et voilà deux principes qui se heurtent : celui de la Charte qui contraint l’islamiste au silence politique et celui de la liberté de presse qui revendique l’absence de silence sur ses ondes.
Le repenti qui ne se repentit pas, Madani Mezrag
Comme de bien entendu, des hommes de presse s’insurgent contre une censure disproportionnée –fermeture d’une antenne au lieu d’une sanction ciblée sur les responsables du programme incriminé– et contre un courroux étatique jugé discriminatoire, les propos de Madani Mezrag étant moins inquiétés que leur vecteur. Il en va ainsi de la responsabilité éditoriale de la presse qui pèse sur la personne morale, bien avant de peser sur le journaliste qui rédigea ou l’invité qui formula.
Pourvu que chaque personne habilitée –militante ou responsable politique– se demande d’abord si les règles de l’art ont été respectées, tant dans la fermeture d’un organe médiatique que dans la procédure de création d’une formation politique. Si c’est le cas, il sera toujours temps de discuter des questions de fond : la responsabilité de chacun dans la perversion éventuelle de la liberté d’expression et le regard à porter sur une Charte de réconciliation, quinze ans après sa rédaction. Une chose est sûre : au cours de sa morbide « carrière », le repenti qui ne se repentit pas, Madani Mezrag, n’a pas montré un attachement convainquant au travail des journalistes…
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