Cardinal Monsengwo : « J’attends de la visite du pape François en Afrique un nouveau souffle pour l’Église »
Le synode de l’Église catholique sur la famille mobilise à Rome du 4 au 25 octobre plus de 253 participants, dont 54 représentants des conférences épiscopales catholiques et cardinaux originaires d’Afrique. Parmi eux, le cardinal Monsengwo, archevêque de Kinshasa et conseiller du pape. Interview.
Jeune Afrique : En quoi consiste votre rôle de conseiller du pape au sein de sa commission de neuf cardinaux (surnommée le C9) qui est chargée de la réforme de la curie et du gouvernent de l’Église ? Y représentez-vous le continent africain ?
Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya : Le pape lui-même a précisé que ses conseillers du C9 étaient choisis à titre personnel. Il a dit qu’il nous avait choisi parce qu’il nous connaissait. Mon rôle n’est pas tout à fait de représenter l’Afrique dans ce conseil, mais d’y apporter mon regard personnel, sans doute africain, sur le gouvernement d’une Église catholique qui est universelle. Dans nos activités, nous cherchons à voir l’intérêt de l’ensemble de l’Église et pas d’une seule région.
Comment travaillez-vous avec le pape François ?
Tous les deux mois, nous travaillons sur des thèmes en vue d’une réunion à laquelle ils sont discutés à Rome avec le Saint-Père et les autres conseillers. Le secrétaire du C9, Mgr Marcello Semeraro, nous envoie les sujets à travailler. Entre nous, nous les surnommons pour rire nos « devoirs à domicile ». Chacun de nous prépare sa contribution, l’envoie au secrétaire qui la diffuse à tous les membres. En ce qui me concerne, j’ai eu notamment à travailler sur le dialogue œcuménique [avec les autres chrétiens], ainsi que sur la réforme menée par le pape St Pie X (1835-1914).
Quelle est la méthode de travail du pape François ?
En réunion du C9, nous essayons toujours d’arriver à un consensus. Si on n’y arrive pas d’emblée, le pape intervient pour diriger le travail vers ce qu’il souhaite, et au final, on arrive toujours à s’accorder.
Le synode sur la famille a commencé voici quelques jours, ce qui explique votre présence à Rome. Qu’en attendez-vous ?
Les gens ont raconté beaucoup de choses fausses sur ce synode. Le Saint-Père a fait une mise au point pour dire que ce rassemblement d’évêques n’avait pas pour objet d’abandonner le modèle de la famille chrétienne. On l’a un peu oublié, mais le pape François a donné de nombreuses catéchèses sur le thème de la famille, qui lui est cher. Rien de la doctrine biblique n’a été abandonné, et ce n’est pas le projet de ce synode : la famille dans le plan de Dieu, c’est un homme, une femme et des enfants ! Le seigneur Jésus Christ nous a confié la famille comme une institution. La famille est fondamentale dans la société. Si nous voulons que la société tienne le coup, la famille doit être promue. Les hommes politiques tout comme les hommes religieux doivent se mettre dans cette ligne et mettre la famille au centre.
Avant le début de ce synode, certains évêques africains sont apparus réservés quant à des évolutions doctrinales éventuelles…
Les évêques africains demandent qu’on leur donne Jésus Christ, qui est venu nous donner la vie ! Il nous a enseigné qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour les autres. Si l’homme et la femme se donnent leur vie l’un à l’autre, comme Jésus a donné la sienne, alors l’amour est là. Bien sûr c’est un modèle. Il y en a qui n’y arrivent pas, qui ont eu des petits ennuis de parcours. Ceux-là, il faut qu’on les accompagne. Jésus ne les condamne pas, mais il leur dit « va, et ne pêche plus ! »
La polygamie existe dans 80% des régions du monde, ce n’est pas un problème seulement africain.
Y a-t-il des thèmes spécifiquement africains qui, selon vous, ne doivent pas être oubliés lors du synode ? Par exemple la polygamie, même si elle ne concerne pas uniquement le continent ; la solidarité dans les familles élargies, etc ?
Je ne crois pas que l’Afrique ait des sujets de préoccupation si différents sur la famille des autres continents. L’Afrique n’est pas hors de la mondialisation. La polygamie existe dans 80% des régions du monde, ce n’est pas un problème seulement africain. En Afrique, comme dans les autres continents, il y a des gens laissés de côté, nous devons les aider. À Kinshasa, nous avons mis en place des structures pour accompagner les familles. Ce sont tantôt des mamans, tantôt des prêtres expérimentés ou bien encore des pères de famille réussis qui mènent ces accompagnements dans les paroisses et communautés ecclésiales de base.
On parle pour ce synode d’une opposition entre certains évêques ou cardinaux africains, tel le Guinéen Robert Sarah, promoteurs d’une vision plus traditionnelle, et des évêques occidentaux. Est-ce votre lecture ?
J’étais à Philadelphie lors du voyage du pape là-bas. Le cardinal Robert Sarah a fait une conférence. Et je peux dire que j’ai vu beaucoup d’Américains qui sont venus remercier le cardinal de son exposé. Le cardinal Sarah tient à ce que l’évangile soit annoncé, et que cette annonce ne soit pas biaisée par une civilisation.
Le même cardinal parle beaucoup de l’importation de problèmes ou de manières de voir propres à l’Occident, qui seraient dangereuses pour l’Afrique…
Mais c’est vrai, cela existe !
Qu’a changé l’élection du pape François pour l’Église catholique en Afrique ?
L’arrivé de ce pape a beaucoup changé les choses ! Déjà, le fait que le Saint-Père s’entoure de cardinaux basés dans leurs pays a été très bien perçu en Afrique. Mais surtout, le pape François a changé les orientations de l’Église pour la pousser à aller vers les plus pauvres et vers ce qu’il appelle les périphéries, ceux qui sont laissés pour compte. Cette orientation vers les pauvres est plus qu’une priorité, c’est une nouvelle direction, et elle concerne tous les fidèles. Le Saint-Père nous dit : Allez annoncer l’évangile, et surtout aux plus pauvres ! Et lui-même incarne ce qu’il dit, c’est fort !
À Kinshasa, j’ai un téléphone en ligne directe avec le Saint Père !
Qu’attendez-vous du voyage du pape François, prévu du 25 au 30 novembre au Kenya, en Ouganda et en Centrafrique, sur un continent qu’il connaît peu ?
Le Saint-Père ne connaissait pas beaucoup l’Afrique, c’est vrai. Mais ce qui est formidable, c’est qu’il y va là où l’on souffre. S’il n’y avait pas eu l’épidémie Ebola, il y serait d’ailleurs allé plus tôt. Il va en République centrafricaine, un pays où l’on a essayé un processus de réconciliation qui marche tant bien que mal. Le pape sait que c’est compliqué, que les gens ont souffert, donc il y va ! En Ouganda, il va célébrer le 50e anniversaire des martyrs du pays et la fondation du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (SCEAM), encouragée en son temps par le pape Paul VI à Kampala. J’en attends un nouveau souffle !
Pourquoi ne se rend-il pas chez vous en RDC, pourtant l’un des grands pays africains catholiques. Est-ce à cause du contexte politique ? N’a-t-il pas été invité par le président Joseph Kabila ?
Je ne sais pas, il y pense probablement. Je sais qu’il a été invité. Mais il a tellement de choses dans son agenda ! Normalement ce sont les conférences épiscopales qui invitent le Saint-Père, mais ces derniers temps les gouvernements le font aussi.
Vous n’en avez pas parlé avec lui ?
Je lui en ai parlé, mais sa réponse me concerne.
Pensiez-vous que la période n’était pas opportune sur le plan politique ?
(Rires.)
Dans les instances de la curie du Vatican, les Africains sont encore peu nombreux, à l’exception du cardinal Turkson à la tête du conseil pontifical Justice et paix, et du cardinal Sarah, à la congrégation du culte divin, et de quelques rares autres… Néanmoins , les évêques et cardinaux africains sont-ils davantage écoutés qu’auparavant ?
L’écoute de la part du Saint-Père ne vient pas des personnes qui sont à Rome. Nous avons la possibilité de nous faire entendre depuis là où nous sommes. Entre évêques africains, nous nous rencontrons aussi régulièrement depuis longtemps au sein du SCEAM. À Kinshasa, j’ai un téléphone en ligne directe avec le Saint Père ! Si c’est nécessaire et que je ressens le besoin de lui dire des choses, je l’appelle et il m’écoute ! Le Saint-Père s’appuie beaucoup sur les évêques chez eux, et c’est tant mieux.
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