Pax Tunisiana : comment interpréter l’attribution du Nobel de la paix
Chaque année, l’attribution du prix Nobel de la paix fait débat.
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 19 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.
Il est vrai que les jurés d’Oslo n’ont pas toujours sorti ces derniers temps de leurs chapeaux les choix les plus lumineux ni les plus évidents, et qu’ils semblent, aujourd’hui plus qu’hier, prisonniers de l’actualité, des effets de mode ou des préoccupations plus ou moins légitimes de l’opinion internationale, lesquelles n’ont pas toujours un rapport immédiat avec la paix. Reconnaissons, cependant, que leur travail n’est guère aisé, les véritables artisans de la paix, ceux qui la défendent comme ceux qui obtiennent des résultats, se faisant de plus en plus rares.
Ce 9 octobre, ils ont couronné le Dialogue national tunisien – à savoir le quartet composé de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT, principale centrale syndicale), de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica, patronat), de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et de l’Ordre national des avocats -, qui a joué un rôle clé, fin 2013, quand le pays menaçait de basculer dans l’instabilité, voire le chaos. Une vraie surprise, y compris pour nous, mais, après réflexion, un choix heureux. Ce Nobel n’est pas tant une récompense qu’un message fort qui appelle quelques commentaires.
Tous les Tunisiens, doivent l’interpréter comme un encouragement à persévérer dans cette voie du dialogue
C’est d’abord la reconnaissance du travail accompli, puisque les résultats étaient au bout du chemin emprunté, ce qui n’était pas une mince affaire. C’est aussi celle du caractère inédit – et prometteur – d’un processus qui pourrait inspirer d’autres nations arabes, mais aussi africaines. Car la solution, en Tunisie, n’est pas venue des politiques, lesquels étaient au contraire à la source du blocage généralisé dans lequel se sont retrouvés les pionniers du Printemps arabe, mais de la société civile. Mieux, des institutions réputées antagonistes ont mis de côté leurs profondes divergences pour agir de conserve. Dans quel pays arabe et africain (on peut même étendre la recherche…) a-t-on vu syndicats et patronat travailler main dans la main ?
Mais ne soyons ni naïfs ni béats : l’expérience tunisienne est loin du terminus
Le prix Nobel 2015 est enfin l’expression d’un soutien à la Tunisie, dans un contexte particulièrement difficile lié à la crise économique mais aussi aux attaques terroristes dont elle est la cible, précisément parce qu’elle incarne aux yeux de Daesh, d’Al-Qaïda et de leurs innombrables filiales ce qu’elles abhorrent : une démocratie moderne naissante en terre d’Islam, loin de leur « vision » moyenâgeuse et figée du monde. Last but not least, les vrais récipiendaires, tous les Tunisiens, doivent, eux, l’interpréter comme un encouragement à persévérer dans cette voie du dialogue et de l’édification d’un projet de société où régime politique rime avec développement économique au bénéfice du plus grand nombre, État de droit, solidarité et égalité.
Mais ne soyons ni naïfs ni béats : l’expérience tunisienne est loin du terminus. Rien n’est définitivement acquis, et les difficultés s’amoncellent. Mais elle a au moins le mérite de tracer une voie originale et qui, jusqu’à présent, porte ses fruits, quand les autres s’enlisent (Libye, Syrie, Yémen…) ou ne règlent pas les problèmes de fond (Égypte, Algérie). Il y a donc bien une autre option que l’autoritarisme anti-islamiste, l’islamisme lui-même ou la guerre entre les deux.
Une option qui ne soit ni la main de fer ni le sabre et le Coran. Cette piste que la Tunisie est en train d’explorer et de baliser pourrait apporter la preuve qu’islam et démocratie n’ont rien de fondamentalement incompatibles. L’instabilité, le chaos, le califat, l’exode migratoire et les coups de matraque ne sont pas une fatalité. Ce sont les hommes et les femmes qui forgent leur propre destin. Pour le pire, souvent, mais aussi, l’espoir est permis, pour le meilleur.
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