Au Burkina, la Ve République, c’est maintenant

Le 31 octobre 2014, une insurrection populaire a contraint Blaise Compaoré à la démission, mettant fin à un règne sans partage de vingt-sept années.

Guy Hervé Kam © DR

Publié le 28 octobre 2015 Lecture : 4 minutes.

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Présidentielle au Burkina : une autre histoire est en marche

Un an après l’insurrection populaire qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir et un mois après le coup d’État manqué des hommes de l’ex-régiment de sécurité présidentielle, les Burkinabé sont impatients de tourner la page de la transition. Ils sont appelés aux urnes le 29 novembre.

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Au cœur de la contestation, une revendication éminemment politique : le refus de voir supprimée la limitation du nombre de mandats présidentiels. Lors de la rédaction de la Constitution de 1991, cette limitation s’est faite au prix d’un compromis consistant à concéder aux partisans de Blaise Compaoré un mandat présidentiel relativement long (sept ans) et à ses opposants le principe d’en limiter le nombre à deux consécutifs. Après avoir brisé ce compromis dès janvier 1997, Blaise Compaoré a été obligé de restaurer la clause limitative en 2000 pour sortir de la crise née de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Mais, redoutant que la fin de son dernier mandat n’ouvre la voie à une alternance démocratique en 2015, le président Compaoré et son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès, ont décidé d’initier une nouvelle révision.

Cette ultime tentative de remettre en cause un compromis politique majeur a fini par convaincre les Burkinabè que ni la Constitution ni les institutions qu’elle a consacrées ne servaient à quoi que ce soit. On lui reproche de n’avoir produit aucun effet décisif sur les actes ou le comportement des dirigeants depuis son adoption et d’avoir été un instrument de domination du régime Compaoré plutôt que le socle de la démocratie et de l’État de droit.

La situation de neutralité politique dans laquelle se trouve le pays permet en effet de faire passer des réformes qu’il serait difficile d’obtenir dans un autre contexte

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Rien de moins surprenant qu’au lendemain de l’insurrection, la nécessité de remettre à plat la Constitution et les institutions de la IVe République soit donc apparue à tous comme l’une des principales questions à régler. Toutefois, dans la forme, les points de vue divergent. Certains estiment qu’après avoir défendu la Constitution au prix fort, il serait illogique de s’empresser de la changer. Pour eux, la plus belle façon de donner un sens au slogan « Touche pas à ma Constitution ! », c’est de la maintenir. Aussi proposent-ils de simplement la réviser, pour la débarrasser des tares qui ont permis à Blaise Compaoré d’en faire l’outil de son maintien au pouvoir.

Une option d’autant plus intéressante qu’elle peut être mise en œuvre rapidement (contrairement à un changement de Constitution et, donc, de République), avant même la fin de la transition, puisque la situation de neutralité politique dans laquelle se trouve le pays permet en effet de faire passer des réformes qu’il serait difficile d’obtenir dans un autre contexte.

Depuis l’adoption de la Constitution en 1991 jusqu’en 2012, aucune révision n’est allée dans le sens de la consolidation de la démocratie

L’argument peut être battu en brèche. Si le Conseil national de la transition (CNT) opérait une révision, la Constitution serait exposée à une crise de légitimité, puisqu’elle ne serait pas soumise à la sanction populaire d’un référendum et que le CNT n’est pas élu. Par ailleurs, le mécanisme de révision a été dévoyé par le régime défunt : depuis l’adoption de la Constitution en 1991 jusqu’en 2012, aucune révision n’est allée dans le sens de la consolidation de la démocratie, et celles de 2012 sont perçues comme des concessions faites par le président du Faso pour se maintenir au pouvoir après 2015. Enfin, beaucoup estiment que, même intégralement révisée, la Constitution de 1991 conservera ses oripeaux.

Il faut donc une Constitution postinsurrection, qui marque la rupture avec l’ordre ancien et reflète les aspirations réelles du peuple burkinabè à la démocratie et à l’État de droit. Un nouveau texte fondamental qui corresponde à la volonté de changement exprimée par l’insurrection populaire d’octobre 2014.

Car aucun parti politique ne donnera au peuple burkinabè une bonne Constitution parce qu’il l’aime ; il le fera parce qu’il y a intérêt

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C’est ce qui est ressorti du débat national organisé par le CNT sur la question du passage ou non à la Ve République. C’est aussi une recommandation forte de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes. Cette institution mise en place après l’insurrection a élaboré un avant-projet de Constitution dont elle propose l’adoption par référendum après les élections couplées (présidentielle et législatives) de sortie de la transition.

La proposition paraît raisonnable. Il faudra cependant de la vigilance, au vu du peu d’enthousiasme manifesté par les partis politiques sur ce débat relatif à la Ve République. On imagine aisément que chacun attend d’arriver au pouvoir pour proposer une Constitution à sa mesure. Vigilance, donc. Car aucun parti politique ne donnera au peuple burkinabè une bonne Constitution parce qu’il l’aime ; il le fera parce qu’il y a intérêt. C’est seulement maintenant que les intérêts des partis et ceux du peuple burkinabè peuvent faire bon ménage. C’est donc maintenant qu’il faut une nouvelle Constitution pour le Burkina Faso.

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