Yves Abibou, au nom du père et des tirailleurs sénégalais massacrés à Thiaroye en 1944

Il y a des héritages dont on se passerait bien. Yves Abibou, directeur d’un organisme de formation, âgé de 63 ans, et installé dans l’Aveyron, en sait quelque chose, lui, qui a passé sa vie à être rattrapé par une histoire que son père lui a racontée alors qu’il était enfant.

Photo prise le 4 décembre 1939 de tirailleurs sénégalais à l’instruction dans un camp d’entraînement dans les colonies françaises en Afrique. © AFP

Photo prise le 4 décembre 1939 de tirailleurs sénégalais à l’instruction dans un camp d’entraînement dans les colonies françaises en Afrique. © AFP

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  • Éric Mukendi

    Né à Kinshasa du temps du Zaïre, Éric Mukendi est arrivé en France en 1985, aujourd’hui, il enseigne le français dans un collège en banlieue parisienne.

Publié le 20 octobre 2015 Lecture : 2 minutes.

Ce récit n’était autre que celui du massacre de Thiaroye où l’armée française ouvrit le feu sur des tirailleurs sénégalais qui avaient le tort de réclamer leur solde de captivité.

Thiaroye où François Hollande rendit hommage aux victimes, le 30 Novembre 2014, en compagnie de Macky Sall, 70 ans après les faits. Or il se trouve que suite à ce massacre, la vie déjà romanesque du père d’Yves Abibou, Antoine Abibou, tirailleur sénégalais, prit un cours inattendu. Lui qui avait été prisonnier des Allemands, qui réussit à s’échapper et à rejoindre la résistance, fut accusé à deux reprises par des tribunaux militaires d’avoir mené, à Thiaroye, la rébellion qui était censée justifier la répression qui coûta la vie à 70 hommes, selon la version officielle.

Un combat judiciaire pour réhabiliter l’honneur et la mémoire de son père

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Antoine Abibou sera donc condamné à dix ans de prison, à la dégradation militaire, à l’interdiction du territoire français et verra son honneur entaché par des soupçons de collaboration avec l’ennemi. Suite à l’action de ses divers soutiens, dont Léopold Sédar Senghor, alors député, Antoine Abibou ne fera que deux ans de prison et ne parlera de cet épisode douloureux qu’à son fils aîné, Yves Abibou, qui reconnaît avoir passé sa vie à fuir cette histoire.

Mais il y a deux ans, il rencontre l’historienne Armelle Mabon et prend connaissance de ses travaux qui font autorité et confirment les propos de son père. Ce qu’on avait présenté comme une mutinerie n’était qu’un massacre visant à calmer les ardeurs de soldats qui réclamaient leur dû, tout en présentant certains rescapés, tel le père d’Yves Abibou, comme les chefs de la rébellion. Il commence alors un combat judiciaire pour réhabiliter l’honneur et la mémoire de son père, décédé en 1981.

Ce n’est pas seulement la mémoire d’Antoine Abibou qui se jouera mais celle de tous les tirailleurs sénégalais

Ce combat devait connaître une étape fondamentale ce lundi 19 Octobre. La Commission d’Instruction devait décider si les nouveaux éléments du dossier, enrichi par les découvertes de Mme Mabon, constituent des éléments suffisants pour battre en brèche la thèse de la culpabilité d’Antoine Abibou.

Finalement les juges ont remis leur décision en délibéré jusqu’au 14 décembre afin d’étudier au mieux cette requête. Le 14 décembre prochain, ce n’est pas seulement la mémoire d’Antoine Abibou qui se jouera mais celle de tous les tirailleurs sénégalais. Et plus largement il sera question des liens qui unissent la France à ses anciennes colonies d’Afrique.

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