Michel Thierry Atangana : « Je dois être réhabilité pour reprendre le cours de ma vie »
Libéré le 24 février 2014, Michel Thierry Atangana n’a pas fini de combattre. Incarcéré à Yaoundé pendant 17 ans, il demande aujourd’hui que l’avis des Nations unies, qui en estimant sa détention arbitraire a accéléré sa libération, soit reconnu par le Cameroun. En jeu : la réhabilitation de l’homme d’affaires, le dégel de ses comptes et surtout son retour à une vie « normale ». Interview.
Libre mais pas innocent. Relâché le 2 février 2014 grâce à un décret de remise de peine émis par Paul Biya, Thierry Michel Atangana se bat toujours pour que soit reconnue son innocence et pour obtenir du gouvernement camerounais des réparations pour les 17 années passées en cellule.
S’appuyant sur l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire, qui exigeait notamment en novembre 2013 sa libération et son indemnisation, il se bat aujourd’hui pour que cette décision soit reconnue par le Cameroun. Surtout, en compagnie de son avocat, Me William Bourdon, et du député divers gauche Olivier Falorni, l’ancien détenu a lancé un nouvel appel et une pétition, à Paris, à l’Assemblée nationale, le 21 octobre.
L’objectif : obtenir des autorités françaises, par qui il estime avoir été trop longtemps abandonné, qu’elles se rangent derrière les Nations unies et fassent pression sur le gouvernement camerounais. L’ancien détenu explique son état d’esprit à Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Un an et demi après votre libération, quelles sont vos revendications ?
Michel Thierry Atangana : Elles sont inscrites dans l’avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire. Premièrement : la révision de mon procès afin d’établir mon innocence, car je n’ai été libéré que suite à un décret qui est en fait un artifice et qui ne correspond pas au droit international. Ensuite : l’ouverture d’une enquête dans le but de recenser toutes les personnes qui ont participé à la violation massive des droits dont j’ai été victime. Enfin, l’indemnisation de tous les préjudices, pour les entreprises que je représente, et à qui l’État camerounais doit 278 milliards de francs CFA, et pour moi-même.
Certains vous reprochent de ne pas vous contenter de votre libération. Que leur répondez-vous ?
Que voulez-vous que je fasse ? Je ne peux pas recommencer ma vie en acceptant de voir ma situation passée non-résolue. La liberté est la chose la plus importante mais je dois être réhabilité pour pouvoir reprendre le cours relativement normal de ma vie. Je ne demande aucune faveur. Je veux que le droit soit appliqué au Cameroun et qu’en France, les paroles soient suivies par des actes. Si on demande aux anciens détenus de se taire après leur libération, sur la base d’un décret pris au bon vouloir d’un chef d’État, ces violations ne peuvent que continuer. Ce combat est le centre de ma vie aujourd’hui.
Michel Thierry Atangana : « J’ai été victime d’un oubli inqualifiable de la France »
Vous dénoncez aujourd’hui un abandon de la part de la France. Que voulez-vous dire ?
Il faut bien comprendre que, pendant 17 années, des conseillers militaires français me voyaient sortir de ma cellule du secrétariat d’État à la Défense de Yaoundé. Et qu’ils n’ont rien dit. Aujourd’hui, j’ai comme l’impression que les autorités françaises se disent : « Il a été libéré, il n’a qu’à se taire ». Je m’y refuse. Aujourd’hui, le Quai d’Orsay estime que c’est à mes avocats de démontrer le caractère arbitraire de ma détention. Pourtant, l’avis de l’ONU reconnaît déjà cette dimension ! En tant que fondatrice du Groupe de travail sur la détention arbitraire, pourquoi la France ne se range-t-elle pas derrière l’ONU ? Quelle relation entre la France et le Cameroun prime sur mon cas ? Je n’ai pas de réponse. Je crois que l’administration française se cache derrière la raison d’État. C’est un problème de volonté politique.
L’administration française se cache derrière la raison d’État.
A contrario, vous saluez les efforts de la diplomatie américaine ?
Ils ont effectivement joué un rôle exemplaire. Il ne faut pas désespérer des grandes nations démocratiques. J’ai été soutenu par le département d’État américain, mais aussi par le président François Hollande, l’ambassadeur de France et l’ambassadeur français aux Droits de l’Homme. Mais mes soutiens se sont presque comptés sur les doigts d’une main. Et, surtout, le président français a promis des choses mais ses collaborateurs, à la cellule Afrique ou au quai d’Orsay, n’ont pas suivi. Pour eux, le dossier est réglé.
Pourquoi, selon vous, ces promesses n’ont-elles pas été tenues ?
Je crois qu’ils pensent que ne pas prendre position contre Paul Biya pourrait contribuer à faire libérer Lydienne Yen Eyoum [détenue au Cameroun depuis 2010, NDLR]. Mais je n’accepte pas qu’on puisse traiter le cas de Lydienne comme s’il fallait négocier quelque chose avec le pouvoir camerounais. L’ONU a qualifié sa détention d’arbitraire : dès lors, il faut exiger que le Cameroun applique les recommandations des Nations unies. C’est pour ça que je ne dissocie pas nos deux cas. Si la violation des droits que j’ai subie n’est pas reconnue, celle de Lydienne ne le sera pas non plus. Au contraire, si je parviens à faire appliquer la décision de l’ONU me concernant, cela enverra un message clair : on ne peut pas instrumentaliser la justice à des fins politiques.
Vous êtes en litige avec vos anciens avocats au Cameroun qui réclament le paiement de leurs honoraires. Où en êtes-vous ?
C’est une conséquence de ce qui m’arrive. Mes anciens avocats camerounais pensent que, ayant été libéré, j’ai la jouissance de mes comptes bancaires. Mais ce n’est pas le cas. Pour l’instant, je n’ai pas les moyens de les payer. Leurs revendications sont parfaitement légitimes, même si je conteste les montants qu’ils avancent. Ils m’ont aidé, certains ont pris des risques et leur impatience est donc normale. Mais le décret qui me libère n’étant qu’une remise de peine, il ne reconnaît pas le caractère arbitraire et injuste de ma détention et mes comptes ne peuvent donc pas être rouverts.
Je n’ai aucune relation avec Titus Edzoa.
Votre combat contre l’arbitraire de la justice camerounaise fait-il de vous, de facto, un homme politique ?
J’ai été arrêté en 1997 alors qu’on m’accusait déjà d’être un « politique ». Toute ma peine repose sur ce seul vocable. Il m’a été reproché d’être proche d’un homme politique. Tout ce que je peux dire ou faire sera toujours vu de cette façon. Mais qui peut accepter de perdre 17 années de sa vie ? Comment combler cela ? Je parle au monde entier en disant : quelles que soient nos préoccupations politiques, nous ne devons jamais fermer les yeux sur la violation des droits humains. Je ne peux pas me taire !
Quelles sont vos relations avec Titus Edzoa ?
Je n’en ai aucune. Je ne me préoccupe pas des actions politiques des uns ou des autres.
Pensez-vous à l’après Paul Biya ?
Non. Ça ne me préoccupe pas. Je souhaiterais même que ma situation soit réglée pendant qu’il est à la présidence. Son passage au pouvoir ne pourra jamais être honoré tant qu’il n’aura pas résolu mon problème. Il n’y a pas d’honneur à avoir eu un être humain privé arbitrairement de sa liberté pendant 17 ans sous sa présidence.
Lydienne est un cas d’embastillement arbitraire et chaque jour qui passe est un jour de trop.
Votre cas peut-il aider celui de Lydienne Yen Eyoum ?
J’en suis persuadé et je suis toujours présent dans le soutien de Lydienne. Je me bats pour la réhabilitation d’une conscience bafouée, au-delà de la libération. Il ne faut pas qu’un Français se retrouve dans les mêmes soucis demain. Je suis convaincu que la France a la force de pousser le Cameroun à respecter les avis des Nations unies. Négocier au cas par cas une libération, comme si c’était une faveur, ne garantira pas la sécurité et la liberté des ressortissants français. Lydienne est un cas d’embastillement arbitraire et chaque jour qui passe est un jour de trop. Est-ce qu’elle peut survivre à cela ?
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