DP World entre deux eaux

Même s’il s’est hissé parmi les trois principaux opérateurs portuaires du continent en un peu plus d’une décennie, le groupe émirati DP World affiche un bilan mitigé en Afrique du Nord et sur la façade Atlantique.

Le port de Jebel Ali, à Dubaï. Kamran Jebreil/AP/SIPA

Le port de Jebel Ali, à Dubaï. Kamran Jebreil/AP/SIPA

OLIVIER-CASLIN_2024

Publié le 3 juillet 2012 Lecture : 5 minutes.

Cap sur les 100 millions d’équivalents vingt pieds (EVP). Après en avoir traité 55 millions en 2011 sur la planète, l’opérateur de manutention Dubai Port World (DP World) s’est fixé un objectif ambitieux pour 2020, dont le continent africain est partie prenante. « Nous portons une attention très soutenue aux marchés à forte croissance des pays émergents, dont ceux d’Afrique bien évidemment », précise Joost Kruijning, vice-président et directeur général de la branche africaine.

Cliquez sur l'image.Présent sur le continent depuis plus d’une décennie, DP World s’est vite imposé dans le paysage de la manutention portuaire africaine. Débarqué en 2000 à Djibouti, le groupe émirati a consciencieusement tissé sa toile en remportant, entre 2006 et 2009, la gestion des terminaux à conteneurs des ports de Maputo au Mozambique, Sokhna en Égypte, Dakar au Sénégal, Alger et Djen-Djen dans l’Est algérien.

la suite après cette publicité

Avec un volume total traité estimé à plus de 2 millions d’EVP en 2011, DP World fait partie des trois principaux opérateurs portuaires du continent, aux côtés du danois APM Terminals et du français Bolloré Africa Logistics. Certes, l’Afrique ne représente encore qu’un peu plus de 3,6 % des volumes manutentionnés en 2011 par l’opérateur, qui gère une soixantaine de terminaux répartis dans 35 pays, mais sa contribution « est de plus en plus significative », constate un conseiller financier du groupe. Sur les onze projets actuellement suivis par l’opérateur émirati à travers le monde, « un certain nombre se trouvent en Afrique », confirme Joost Kruijning, sans plus de précisions.

Afin de respecter ses ambitions pour 2020, DP World doit réaliser dans un premier temps les projets d’extension et de rénovation compris dans les accords de concession et de partenariat signés avec les autorités portuaires du continent. À Djibouti, où le directeur de l’autorité portuaire Aboubaker Omar Hadi se déclare « très satisfait du travail déjà réalisé par l’opérateur et de son implication stratégique sur le long terme », le géant de la manutention compte bien accompagner le développement du principal hub portuaire de l’Est africain en doublant les capacités du terminal de Doraleh, qu’il gère depuis 2009. Cette extension, qui doit démarrer ses activités début 2013, permettra de réceptionner 3 millions d’EVP par an et donnera à Djibouti sa place dans le club fermé des ports africains dépassant le million de conteneurs traités annuellement, en compagnie de Durban (Afrique du Sud), de Tanger, et des ports égyptiens de Port-Saïd et Damiette.

En assurant le service 24 heures sur 24, l’entreprise a imposé sa marque à Alger.

Savoir-faire

la suite après cette publicité

Mais si DP World est apprécié dans la Corne de l’Afrique pour son savoir-faire « et sa compréhension des réalités africaines », selon Aboubaker Omar Hadi, le groupe a plus de mal sur la côte méditerranéenne. En Égypte, il fait face à des mouvements de grève répétés de ses dockers pour revendications salariales, comme c’était encore le cas en février dernier, tandis qu’en Algérie, il dépend des investissements de l’État.

DP World n’a pas tardé à imprimer sa marque sur ses installations d’Alger, en assurant le service 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, mais le vaste projet de modernisation prévu pour faire passer la capacité du terminal de 800 000 à 1,3 million d’EVP par an, signé en mars 2009 avec les autorités, n’a toujours pas pu être lancé. « Selon l’accord, l’État devait prendre à sa charge la réfection des terre-pleins, pour ensuite permettre à DP World d’équiper les quais. Or les travaux qui devaient commencer au plus tard six mois après la signature n’ont démarré qu’en mai dernier », explique une source syndicale. Les quatre portiques annoncés par le manutentionnaire pour cette année ne devraient pas être réceptionnés avant 2014, repoussant d’autant les objectifs de productivité de l’opérateur, confronté aux mêmes tergiversations à Djen-Djen. Situé à 350 km à l’est de la capitale, le futur port de transbordement, qui veut concurrencer Tanger Med avec un trafic annuel de 2 millions d’EVP, et dans lequel DP World s’est engagé à investir 400 millions d’euros, attend la construction d’une digue de protection et l’extension des quais promises par le gouvernement.

la suite après cette publicité

Le flop de la cotation à Londres

Coté depuis 2007 au Nasdaq Dubai, DP World est entré à la Bourse de Londres (LSE) en juin 2011. Un an plus tard, l’action n’a pas enthousiasmé les investisseurs. L’introduction au LSE n’a eu « aucun effet bénéfique pour la compagnie », assure Sébastien Hénin, gérant de portefeuilles à Abou Dhabi. Venu à Londres pour « élargir sa base d’actionnariat et attirer davantage de liquidités », DP World n’a rempli aucun de ces objectifs, et moins de 10 % de ses volumes d’actions sont cotés au LSE. Ce désintérêt « pour une compagnie très bien gérée qui dispose de très beaux actifs », relève Sébastien Hénin, provoque « une décote de 20 % à 40 % » du titre, valorisé à près de 9 dollars (7,20 euros). L’actionnaire de référence, Dubai World, conglomérat public de l’Émirat, détient toujours 80 % du capital et a refusé de céder les titres « qui auraient pu créer un appel de fonds auprès des investisseurs », constate l’analyste, pour qui « la reprise économique de Dubaï relativise l’échec de cette double cotation ». O.C.

« Arrivé en Algérie pour jouer un rôle de passerelle entre les ports européens et africains, DP World peine aujourd’hui à concrétiser ses objectifs », traduit un spécialiste du secteur. À Dakar, où il est venu profiter de l’emplacement du port sur les grandes routes maritimes de l’Atlantique, l’opérateur est également loin de faire l’unanimité. Après des débuts compliqués, il a réussi à inverser la tendance, en déboursant 110 millions d’euros, « pour en faire le terminal à conteneurs le plus moderne de l’Afrique de l’Ouest », selon Joost Kruijning.

Grogne

Inauguré en novembre 2011, avec ses portiques flambant neufs et ses nouvelles surfaces de stockage, le terminal a sérieusement amélioré ses cadences de manutention (de 17 mouvements par heure à un record de 62), réduisant les délais d’attente pour les navires (passés de quinze à deux heures), alors que le trafic de conteneurs continue de progresser sur la place sénégalaise (+ 5 % en 2010). Tout pourrait donc aller pour le mieux, sauf que la nouvelle direction portuaire menace depuis quelques semaines DP World d’un audit sur les conditions d’attribution de la concession acquise face à Bolloré en 2007 et que les utilisateurs grognent devant la hausse des tarifs de manutention, estimée à 20 %.

« Il faut briser le monopole et faire venir d’urgence un deuxième opérateur », demande Daouda Thiam, le vice-président de la chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Dakar (CCIAD). Attendu en 2012 et désormais annoncé pour 2014-2015, le projet de « port du futur » censé propulser la capacité annuelle du port de Dakar à 1,5 million d’EVP ne devrait pas changer la donne, la concession ayant déjà été affectée à… DP World.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Contenus partenaires