Air France revoit son plan de vol
D’ici 2015, Air France veut faire des économies et repositionner ses marques. La compagnie parie sur le haut de gamme au sud du Sahara et devrait alléger ses liaisons vers le Maghreb au profit de sa filiale low cost, Transavia.
Chez Air France-KLM, l’heure est à la chasse aux coûts. L’année 2011 a été calamiteuse pour le groupe présidé par Jean-Cyril Spinetta, avec 809 millions d’euros de pertes. Le premier trimestre de 2012 n’a pas été plus encourageant, avec 400 millions de pertes d’exploitation supplémentaires. De sombres résultats dus à la hausse de la facture de carburant (+ 904 millions d’euros en 2011), mais aussi et surtout à Air France. Dirigée par Alexandre de Juniac, la compagnie a présenté des pertes d’exploitation de 567 millions d’euros en 2011, contre un excédent d’environ 200 millions d’euros pour sa « soeur » néerlandaise, KLM.
Pour le transporteur français, les voyants sont au rouge. Même en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient, où la rentabilité demeure plus importante qu’ailleurs, la recette par siège a chuté de 2,8 %. D’après le cabinet AT Kearney, les coûts d’exploitation maîtrisables (hors carburant, charges d’aéroport et de contrôle aérien) d’Air France sont de 32 % supérieurs à ceux de la moyenne des grandes compagnies internationales. Un surcoût – notamment salarial – difficilement supportable, même si la recette unitaire par siège-kilomètre (siège multiplié par le nombre de kilomètres parcourus) du transporteur est de 6 % supérieure à la moyenne.
Dans son plan Transform 2015, présenté le 21 juin au comité central d’entreprise, Alexandre de Juniac vise une économie de 1,3 milliard d’euros chaque année à partir de 2015. Air France n’est pas le seul à se serrer la ceinture : Lufthansa vient d’annoncer son plan Score, qui vise à réduire ses coûts de 1,5 milliard d’euros par an d’ici à 2014. Quant à British Airways, il a réduit ses effectifs drastiquement ces dix dernières années, supprimant 4 000 emplois en 2004 et 2 500 en 2009 (sur environ 50 000).
Trois pôles
Le patron d’Air France prévoit aussi une réduction d’effectifs (5 122 postes sont concernés) et une cure d’amaigrissement salariale en France, mais ce n’est pas la seule mesure de son plan. Il entend surtout revoir le modèle économique de la compagnie (hors KLM) pour la réorganiser autour de trois pôles : la marque Air France, l’activité low cost Transavia, qui doit se renforcer, et un pôle régional regroupant les petites filiales locales (Brit Air, Airlinair, Regional…) opérant à l’échelon national ou européen.
La compagnie veut réduire son endettement de 2 milliards d’euros d’ici à 2015.
Si l’Afrique est épargnée par les suppressions de postes, les opérations du groupe y seront nécessairement affectées par le plan Transform 2015. Air France-KLM dessert 42 destinations sur le continent, qui représente 14,2 % du trafic passagers et alimente ses hubs de Roissy et Amsterdam-Schiphol. À l’heure où les marchés européen et américain sont en crise, le trafic africain devrait croître en moyenne de 7 % par an jusqu’en 2015, selon l’Association internationale du transport aérien (Iata). « Air France ne va pas réduire la voilure sur le continent, mais l’étoffer et la décliner différemment à travers ses trois pôles », estime le Nigérian Nick Fadugba, président du cabinet de conseil African Aviation Services.
Bientôt une ouverture du capital de Servair?
La société de restauration à bord, filiale à 94 % d’Air France, pourrait ouvrir son capital à d’autres actionnaires. Servair a réalisé 797 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2011 (dont 73,5 millions d’euros en Afrique). La filière catering d’Air France est profitable : elle affiche un résultat d’exploitation de 25 millions d’euros. Servair réalise une large part de son activité avec d’autres compagnies que sa maison mère ; Kenya Airways est même son premier client africain. D’après Bloomberg, la banque d’affaires Lazard aurait été mandatée par Air France pour évaluer l’intérêt d’investisseurs potentiels, capables de mobiliser des moyens pour développer cette activité. La compagnie souhaiterait toutefois garder plus de 50 % des parts : le service de restauration est jugé essentiel dans la réussite de la montée en gamme de sa classe affaires, inscrite dans le plan Transform 2015. Une stratégie similaire à celle de Lufthansa, qui cherche à revendre 49 % des parts de sa filiale LSG Sky Chefs. C.L.B.
C’est surtout en Afrique du Nord qu’Air France va changer ses plans, notamment avec Transavia, dont la flotte, qui compte actuellement 8 avions, doit passer à 20 ou 22 appareils. La petite compagnie lancée en 2007 dessert les stations touristiques du Maroc, de la Tunisie et de l’Égypte (9 destinations nord-africaines depuis Paris Orly, 3 depuis Nantes et 1 depuis Lyon). Elle devrait étendre son périmètre. « Pour Transavia, il y a une place à prendre sur les marchés algérien et tunisien, deux pays qui n’ont pas encore signé d’accord de libéralisation Open Sky avec l’Union européenne », indique Cheikh Tidiane Camara, président du cabinet Ectar.
Mais pour réussir ce pari low cost, il faudra que les dirigeants de la compagnie à bas coûts – qui affiche des pertes depuis sa création – puissent pleinement mettre en place ce modèle économique qui a fait le succès d’EasyJet et Ryanair. « Beaucoup d’efforts ont été réalisés par Transavia pour atteindre des niveaux de rotation élevés et s’adapter à la saisonnalité touristique. Ce n’est que récemment que le modèle low cost a réellement été maîtrisé, analyse un consultant en stratégie basé à Paris. Passer à la vitesse supérieure sera un vrai challenge. Il ne sera pas évident de garder la même organisation après le transfert d’avions et d’équipes provenant d’Air France, qui a une tout autre culture managériale. »
Au Maghreb, Transavia et Air France devront revoir leurs stratégies respectives pour éviter de se cannibaliser. Ce dernier devrait concentrer ses vols vers les destinations à plus haute valeur ajoutée, notamment les capitales qui drainent une clientèle d’affaires. Il devrait aussi continuer d’étoffer son réseau au départ de Marseille (déjà 4 destinations nord-africaines), Toulouse (3), Nice (1), qu’il cherche à rentabiliser. Du coup, Transavia pourrait récupérer certaines liaisons d’Air France entre Paris et le Maghreb, où la compagnie souffrait de la guerre des prix avec EasyJet, Ryanair et Air Arabia. « Transavia pourra résister et gagner des parts de marché face aux autres low-cost. Quant à Air France, cela lui permettra d’améliorer les performances d’exploitation de ses hubs provinciaux, une formule déjà expérimentée avec succès par Lufthansa », apprécie Cheikh Tidiane Camara.
En Afrique subsaharienne, zone restée pour l’instant en marge des liaisons low cost, la rentabilité des lignes d’Air France est nettement supérieure, même si la concurrence grandissante a déjà obligé le transporteur à revoir ses prix à la baisse. « Dans cette région, la recette unitaire par siège et la proportion de passagers « affaires » sont plus élevées qu’ailleurs. Dans des pays riches en ressources naturelles où il bénéficie d’une concurrence limitée, comme le Congo-Brazzaville, le Gabon, la Guinée équatoriale ou l’Angola, Air France réalise des bénéfices substantiels », observe Cheikh Tidiane Camara. « En Afrique francophone, et même au Nigeria, où elle vient d’ouvrir une ligne vers Abuja, la compagnie réussit à être incontournable », ajoute Fadugba.
Reste que le leadership d’Air France-KLM sur les vols long-courriers subsahariens est convoité. Lufthansa dessert avec ses filiales Brussels Airlines et Swiss une quarantaine de destinations africaines et veut poursuivre son offensive. Loin de laisser l’ouest du continent à son concurrent de l’Hexagone, le transporteur allemand propose des liaisons vers Luanda et Libreville, villes prisées des entrepreneurs du secteur pétrolier. Quant à Emirates, il opère quinze lignes entre Dubaï et l’Afrique subsaharienne. Pour résister au sud du Sahara, Air France table sur un positionnement haut de gamme, avec un renforcement de la classe affaires et de la première classe. Signe que Transform 2015 n’est pas qu’un plan d’économies, Alexandre de Juniac prévoit un investissement d’environ 500 millions d’euros pour rénover ces deux classes. Air France aura toutefois fort à faire pour séduire sur ses segments hauts de gamme pour les vols entre l’Afrique et l’Asie : des compagnies comme Emirates, Etihad (lire ci-dessous) ou Singapore Airlines ont une nette longueur d’avance en la matière. Pour mettre toutes les chances de son côté, le transporteur compte notamment sur sa filiale de restauration à bord, Servair (lire encadré), pour fournir des prestations de luxe « à la française ».
La stratégie est donc tracée : low-cost au nord du continent, haut de gamme au sud. Reste que pour la mettre en place le chemin est encore long. L’issue des négociations avec les syndicats français, attendue pour la mi-juillet, est incertaine. Si ces derniers se prononcent en défaveur du plan de départs volontaires en France, le management d’Air France aura du mal à réaliser ses ambitions, notamment africaines.
Lire aussi : Air France sur la piste marocaine
Vers un accord avec Etihad
Les transporteurs français et émirati négocient un rapprochement commercial.
underline;" rel="noopener noreferrer">Les ennemis d’hier sont en passe d’enterrer la hache de guerre. Air France-KLM et Etihad prépareraient un accord commercial. « Il s’agit de discussions sérieuses », a concédé le 13 juin à l’AFP Joost Ruentol, un porte-parole de la branche néerlandaise du groupe européen. « Une entrée d’Etihad au capital d’Air France-KLM n’est pas à l’ordre du jour », s’est-il néanmoins empressé de préciser.
En 2010, le président du groupe, Jean-Cyril Spinetta, déclarait : « Les compagnies du Golfe sont en train de tuer notre industrie. » Mais le discours a évolué – tout au moins avec Etihad. L’heure est à la recherche de relais de croissance pour restaurer les comptes d’Air France-KLM. L’accord pourrait se concrétiser par un partage de codes, chacune des deux compagnies pouvant vendre des billets sur les vols de sa nouvelle alliée. Courante dans le secteur pour rationaliser les liaisons et préserver les marges, cette pratique a toutes les chances de débuter sur la ligne Paris-Abou Dhabi, une destination qu’Air France-KLM supprimera cet été.
Acquisitions
Au-delà du Proche-Orient et du Moyen-Orient, ce rapprochement commercial devrait se matérialiser en Afrique, où le français, leader historique, pourrait profiter de la montée en puissance d’Etihad. Présente au Caire, à Johannesburg, Casablanca, Khartoum, Tripoli, Nairobi et Mahé, la compagnie d’Abou Dhabi lance en juillet une liaison vers Lagos et desservira à partir de novembre Addis-Abeba.
À la différence d’Emirates (7e transporteur mondial avec 14,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2011), bête noire d’Air France-KLM, Etihad, lancé en 2003, a grandi par acquisitions (Air Berlin, Air Seychelles…) grâce à un compte ouvert auprès de l’État des Émirats arabes unis, son actionnaire. Il se développe aussi par des accords commerciaux de partage de codes noués avec 35 compagnies (dont Royal Air Maroc, Air Seychelles, Alitalia, Brussels Airlines ou Turkish Airlines).
Mais où s’arrêtera l’émirati ? Finira-t-il par entrer au capital d’Air France-KLM ? Jouera-t-il en solo ? Après avoir signé, en mai, un accord de partage des codes avec Royal Air Maroc, il pourrait s’inviter au capital du marocain. Ce qui est sûr, c’est qu’Etihad est pressé. En 2020, il prévoit de transporter 25 millions de passagers. Trois fois plus qu’aujourd’hui. J-.M.M.
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Économie & Entreprises
- La Côte d’Ivoire, plus gros importateur de vin d’Afrique et cible des producteurs ...
- Au Maroc, l’UM6P se voit déjà en MIT
- Aérien : pourquoi se déplacer en Afrique coûte-t-il si cher ?
- Côte d’Ivoire : pour booster ses réseaux de transports, Abidjan a un plan
- La stratégie de Teyliom pour redessiner Abidjan