Limogeage du ministre tunisien de la Justice : les (vraies) raisons de sa disgrâce

Le limogeage du ministre tunisien de la Justice, Mohamed Ben Aissa, annoncé dans l’après-midi de mardi, par un communiqué de la présidence du gouvernement, est tout sauf une surprise.

Le ministre de la Justice tunisien Mohamed Ben Aissa © Fethi Belaid/AFP

Le ministre de la Justice tunisien Mohamed Ben Aissa © Fethi Belaid/AFP

ProfilAuteur_SamyGhorbal

Publié le 21 octobre 2015 Lecture : 2 minutes.

Elle est officiellement motivée par l’absence injustifiée de ce dernier au cours de la discussion consacrée du projet de loi organique sur le Conseil supérieur de la magistrature, qui était organisée le matin même à l’Assemblée des représentants du peuple, le Parlement tunisien. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, et qui a poussé le Premier ministre Habib Essid à réagir par un acte d’autorité assez inhabituel.

Mais en réalité, le ministre, un juriste issu de la société civile et ancien doyen de la faculté de droit de Tunis, était très fragilisé. Récemment, le Garde des sceaux avait été publiquement désavoué par le président Béji Caïd Essebsi. Il s’était en effet prononcé pour l’abrogation de l’article 230 du Code pénal, qui criminalisait l’homosexualité. En voyage au Caire, et interrogé par des journalistes égyptiens, le président tunisien l’avait sèchement recadré, en expliquant qu’une telle réforme n’était pas à l’ordre du jour et que la parole du ministre n’engageait pas le gouvernement. Ambiance !

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Manque d’autorité

Depuis des semaines, l’éventualité de son remplacement à l’occasion d’un prochain remaniement revenait avec insistance. Bien plus que ses prises de positions sur des sujets sociétaux clivants, comme l’usage du cannabis ou l’homosexualité, c’est son manque d’autorité et de sens politique qui étaient reprochés à Mr Ben Aissa. Celui-ci avait dans son périmètre de responsabilité quelques-uns des chantiers essentiels de la législature : l’installation du CSM, le Conseil supérieur de la magistrature, et celle de la Cour constitutionnelle, deux instances prévues par la Constitution et dont la mise en œuvre accusait beaucoup de retard.

« Le ministre la Justice n’a pas réussi à tenir les délais. Il a singulièrement manqué de doigté dans ces deux dossiers. Il est allé au clash avec les parlementaires et avec les magistrats, au lieu de réussir à fédérer tous les acteurs de ce débat, pour parvenir à des projets consensuels. Objectivement, son rendement n’est pas satisfaisant et il éprouve les pires difficultés à « tenir » son ministère, qui ressemble à un bateau ivre », nous confiait, début septembre, un proche collaborateur du président tunisien.

Cafouillages

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D’autres raisons, moins avouables, ont également contribué à la spectaculaire disgrâce de Mohamed Salah Ben Aissa. Il n’avait soutenu que du bout des lèvres le projet de loi de réconciliation nationale économique, voulu par Béji Caïd Essebsi. Et on lui reprochait également de nombreux cafouillages dans les affaires impliquant la mouvance salafiste. Plusieurs suspects jugés particulièrement dangereux, arrêtés par les forces de sécurité et presque aussitôt remis en liberté par les magistrats, en dépit de preuves supposées accablantes communiquées par les enquêteurs de l’antiterrorisme.

À la décharge de l’ex-garde des sceaux : son expérience politique, très limitée, et un ministère « ingérable », rongé par les corporatismes et noyauté par Ennahdha depuis le passage de Noureddine Bhiri, entre décembre 2011 et mars 2013. En attendant la nomination d’un remplaçant, l’intérim sera assuré par Farhat Horchani, le ministre de la Défense, qui est lui-même juriste et ancien doyen de la faculté. Savoureux paradoxe : Horchani s’est, lui aussi, attiré une réputation de « gaffeur » en multipliant les impairs…

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