Driss El Yazami : « Le Maroc est prêt pour un débat sur l’égalité homme-femme en matière d’héritage »

Dans son dernier rapport, publié mardi 20 octobre, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) dresse un bilan inquiétant de l’état de l’égalité homme-femme et en profite pour lancer des piques au gouvernement PJD qui rogne sur les acquis constitutionnels. Le président du CNDH, Driss El Yazami, a répondu aux questions de Jeune Afrique.

Driss El Yazami est le président du CNDH. © Hassan OUAZZANI/JA

Driss El Yazami est le président du CNDH. © Hassan OUAZZANI/JA

ProfilAuteur_NadiaLamlili

Publié le 21 octobre 2015 Lecture : 3 minutes.

Pour la première fois, le Conseil national des droits de l’homme, placé sous la tutelle du roi, publie un rapport sur l’état de l’égalité et la parité. Le 20 octobre, il a demandé à ce que les femmes aient le mêmes droits que les hommes en matière d’héritage, qu’elles puissent transmettre leur nationalité marocaine à leurs maris étrangers et que les enfants nés hors-mariage puissent même bénéficier d’une pension alimentaire. Pour le président du CNDH, Driss El Yazami, il est temps de lancer ces débats.

Jeune Afrique : Dans ce rapport, vous décriez « une évaporation progressive des promesses constitutionnelles ». Qu’en est-il exactement ?

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Cette évaporation se manifeste de deux manières. D’une part, à travers la lenteur dans l’adoption des lois organiques, malgré nos nombreuses demandes d’accélération. Autorité pour la parité, loi de lutte contre la violence à l’égard des femmes, conseil de famille, statut des travailleurs domestiques… Nous sommes à un an de la fin du mandat gouvernemental et ces lois n’ont toujours pas été adoptées.

D’autre part, on remarque une déperdition des politiques nationales au moment de leur exécution au niveau local. Près de 40% de la population du Maroc habite dans les campagnes.

Pour la première fois, un organe constitutionnel demande l’égalité entre les hommes et les femmes en matière d’héritage. Pourtant, cette question semble être tranchée dans le Coran ?

Je ne suis pas un théologien, mais un acteur des droits de l’homme. Notre objectif est de susciter un débat qui existe par ailleurs dans des sociétés similaires comme la Tunisie et le Liban. Il appartiendra au conseil des Oulémas de statuer au niveau religieux.

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La société marocaine est-elle prête pour ce genre de débats, notamment sur l’égalité en matière d’héritage ?  

Certainement, la société marocaine est prête pour le débat sur l’égalité en matière d’héritage. Cette année, il y a eu un débat extraordinaire sur l’Interruption volontaire de grossesse (IVG). Le CNDH y a participé en organisant un mois de consultation avec la société civile, soldé par la présentation de 75 mémorandums. Cela montre une capacité indéniable à débattre. Peine de mort, interdiction de Much Loved de Nabil Ayouch, homosexualité, festivals de musique…la société dans son ensemble discute tous les jours.

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La part des mariages en dessous de l’âge légal a presque doublé en une décennie, passant de 7% en 2004 à près de 12% en 2013. Comment expliquez-vous la progression des mariages des filles de moins de 18 ans malgré les restrictions posées par la loi ?

Je n’ai pas d’explication. Je me félicite en tout cas du fait qu’on puisse quantifier ces mariages et que le ministère de la Justice puise publier ces chiffres. Notre constat est que l’autorisation est donnée par les juges assez facilement. Comment combattre ce phénomène ? En prendre conscience, former les magistrats et conscientiser les parents.

Vous appelez donc à la réforme d’une Moudawana dévoyée

De toutes les façons, il faudra évaluer cette loi appliquée depuis 11 ans. Elle a été adoptée suite à un débat houleux qui a duré au moins 2 ans, conclu certes par un compromis, mais comme toute politique publique, elle doit être réactualisée.

Vous demandez à ce que les femmes marocaines puissent transmettre leur nationalité à leurs époux étrangers. Or, on sait tous que l’acquisition de la nationalité marocaine est opaque et difficile

Dans la loi actuelle, un homme marocain peut transmettre sa nationalité à son épouse étrangère. Ce qui n’est pas le cas pour une femme marocaine mariée à un étranger. Nous devons aligner les deux statuts au nom de l’égalité mais aussi parce que le Maroc a des engagements internationaux qui ne supportent plus cette discrimination. En 2007, la femme marocaine a pu transmettre sa nationalité à ses enfants nés d’un mariage mixte. Nous sommes dans la continuité de cet acquis. Et je ne vois vraiment pas en quoi l’attribution de la nationalité aux maris étrangers pourrait poser problème.

Ne vous sentez-vous pas frustré par toutes les réformes que vous avez édictées à la tête du CNDH et qui n’ont pas encore trouvé le chemin de l’accomplissement?

Pas du tout. Je sais que la réforme se fait dans la durée. On a pu constater par exemple que plusieurs recommandations du CNDH ont été incluses dans la nouvelle mouture du Code pénal qui sera présenté au Parlement. Tous les acteurs doivent s’exprimer. Pour moi, la démocratie n’est pas le consensus mais la gestion pacifique du désaccord.

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