Pascal Affi N’Guessan : « La justice ivoirienne ne sert qu’à harceler l’opposition »

Sécurité, réconciliation, corruption, filière cacao, justice, diplomatie… Les candidats à la présidentielle qui affronteront Alassane Dramane Ouattara (ADO) le 25 octobre répondent aux questions de Jeune Afrique. Aujourd’hui, Pascal Affi N’Guessan détaille son programme pour la Côte d’Ivoire.

Pascal Affi N’Guessan, candidat du FPI, lors du lancement de sa campagne à Gagnoa, le 10 octobre. © ISSOUF SANOGO/AFP

Pascal Affi N’Guessan, candidat du FPI, lors du lancement de sa campagne à Gagnoa, le 10 octobre. © ISSOUF SANOGO/AFP

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Publié le 22 octobre 2015 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : La Côte d’Ivoire est-elle plus sûre aujourd’hui qu’il y a cinq ans ?

Pascal Affi N’Guessan  : On peut dire que la situation sécuritaire s’est améliorée puisque l’État s’est redéployé sur l’ensemble du territoire. Mais beaucoup reste à faire. Nous devons encore consolider le processus de désarmement et de réinsertion des ex-combattants qui est un échec. Il y a encore beaucoup de jeunes abandonnés à eux-mêmes qui constituent une source d’insécurité aussi bien à l’intérieur du pays qu’à Abidjan à travers les coupeurs de route ou le phénomène des microbes. C’est pourquoi nous proposons un grand service civique national qui pourrait prendre en charge tout cela. Il faut également renforcer les moyens de la police et de la gendarmerie, déployer d’avantage de brigades de gendarmerie.

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Faut-il abroger la clause d’ivoirité, toujours inscrite dans la Constitution, comme le souhaite Alassane Ouattara ?

Je ne sais pas ce qu’on appelle clause d’ivoirité, il faudrait qu’il le précise. Dans tous les cas, la Constitution a besoin de réforme, il faut qu’elle soit consensuelle. C’est le premier pilier du contrat social. Je suis d’accord pour qu’on organise un grand débat sur ce thème et qu’on apporte les changements nécessaires pour que la loi fondamentale reflète la volonté générale. Il faut débattre de ça, comme de l’article 35.

Que signifierait un fort taux d’abstention lors du scrutin présidentiel ?

Nous n’aurions pas réussi à intéresser nos compatriotes au vote et cela serait un échec pour l’ensemble de la classe politique. Pour nous, l’opposition, comme pour le gouvernement, dont le bilan serait jugé si minable que même ses partisans le sanctionneraient en s’abstenant de voter. Certains ont fondé tellement d’espoir sur l’arrivée au pouvoir de Ouattara que, pour eux, la désillusion est grande. L’autre source de non participation pourrait aussi provenir du fait que les Ivoiriens craignent encore les violences de 2010-2011.

Il ne faut pas situer la question de la réconciliation nationale et des victimes uniquement au niveau pécuniaire

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Quelles modifications apporteriez-vous au système d’indemnisation des victimes de la crise postélectorale ?

Il ne faut pas situer la question de la réconciliation nationale et des victimes uniquement au niveau pécuniaire. C’est une erreur de croire que recevoir de l’argent permet d’oublier. Il y a d’abord une dimension psychologique et morale importante. C’est pour cela que nous proposons des états généraux de la République. Les victimes ont besoin d’être reconnues et réhabilitées moralement par la nation.

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La corruption est-elle toujours un problème en Côte d’Ivoire ?

Plus qu’un problème, c’est un drame. Ce régime se caractérise par la mauvaise gouvernance et le recours excessif aux marchés de gré à gré : 97 % des marchés publics sont passés de gré à gré, c’est le FMI qui le dit [En réalité, le dernier rapport du Fonds monétaire international datant de juin 2015 affirme que ledit taux est passé de 42,8 à 23 %, NDLR].

La filière cacao vous paraît-elle plus saine aujourd’hui qu’il y a cinq ans ?

Je ne crois pas. Il y a d’avantage d’opacité. On reconstituant l’ancienne Caistab, on est revenu à la case départ. Il faut réexaminer la réforme de la filière pour y apporter plus de transparence et impliquer d’avantage les producteurs qui ont été dessaisis de la gestion depuis l’arrivée d’Alassane Ouattara.

L’endettement du pays est-il trop important ? Peut-il constituer un frein au développement ?

À terme, oui. Si nous nous contentons de vivre à crédit nous allons atteindre un point de blocage. Il faut réformer totalement la gouvernance en mettant l’accent sur la relance économique qui passe par l’assainissement du cadre macroéconomique, par la modernisation et la diversification des sources de richesse, aux niveaux primaire, secondaire et tertiaire.

Si vous êtes élu, allez-vous augmenter les budgets accordés aux secteurs de la santé et de l’éducation ?

Évidemment, puisque nous avons de gros problèmes de santé publique et d’éducation. Les besoins seront importants. Notre objectif est de doubler le budget de l’éducation nationale dans les cinq années à venir, de 5 000 à au moins 10 000 milliard de F CFA par an. Mais nous ne comptons pas le faire en coupant dans les postes budgétaires existants mais en améliorant les ressources de l’État. Par exemple en réduisant le train de vie de l’État. Nous sommes un pays sous-développé, personne ne peut comprendre qu’autant d’argent puisse être dépensé aux institutions, à des voyages, à organiser des réceptions grandioses.

La Cour pénale internationale (CPI) est-elle légitime pour juger Laurent Gbagbo ?

C’est un gâchis. Gbagbo n’a rien à faire à La Haye. C’est une affaire éminemment politique. Sa détention à la CPI ne fait pas avancer le processus de réconciliation, elle est même une source de nuisance, de perturbation. Les appels au boycott, les marches organisées par une partie de la classe politique, sont les conséquences de sa présence à La Haye. C’est pour cela que nous avons toujours été opposés à une procédure internationale dans le règlement de la crise postélectorale. Il faut organiser des états généraux de la République avec la présence et la participation des acteurs majeurs de la crise ivoirienne, donc de Laurent Gbagbo.

La Côte d’Ivoire actuelle est fille de la colonisation française, l’État ivoirien a été façonné par cette longue histoire commune

Si vous êtes élu, comptez-vous juger les partisans du président Ouattara suspects de crimes commis pendant la crise postélectorale ? La justice ivoirienne est-elle indépendante ?

Tout ce fera dans le cadre des états généraux de la République, il y aura un processus de justice traditionnelle. Il nous appartiendra de traiter tous les cas liés à la vérité sur les événements de la crise. Chacun dira sa part de vérité. Cela sera un processus au bout duquel nous allons faire la paix et accorder le pardon mutuel, sauf pour les crimes impardonnables qui ne sont nullement justifiés par le contexte de l’époque.

Pour ce qui est de la justice, elle est encore moins indépendante avec Alassane Ouattara. Elle s’est effondrée, à la solde du pouvoir, instrumentalisée. Elle ne sert qu’à punir sinon harceler l’opposition politique.

Fallait-il accueillir Blaise Compaoré en Côte d’Ivoire après son départ du Burkina Faso ?

Nous savons ce que le président Compaoré a fait contre la Côte d’Ivoire depuis 2002 mais nous restons un pays d’accueil et nous pouvons accueillir toute personne dans le besoin. Cependant, si les autorités burkinabè ou la justice internationale ont besoin de lui, nous n’hésiterons pas à accéder à leur requête.

La France doit-elle garder une place à part parmi les partenaires de la Côte d’Ivoire ? Pourquoi ?

Évidemment, c’est l’histoire, la réalité économique, culturelle et sociale qui l’impose. La Côte d’Ivoire actuelle est fille de la colonisation française, l’État ivoirien a été façonné par cette longue histoire commune. Tout cela crée une communauté d’intérêts économiques et sociales entre la France et la Côte d’Ivoire avec laquelle il est difficile de rompre. Il faut qu’il y ait une synergie d’actions pour que ce partenariat puisse avancer.

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